Manifeste de l'hypermonde (suite)

Alain Durand: Vers un hypermonde normalisé

Trois étapes historiques de la normalisation: dimensionnelle, fonctionnelle, organisationnelle.

Trois natures de normes ont déjà été maîtrisées. La norme dimensionnelle, depuis le filetage du boulon jusqu'à la taille des conteneurs. La norme fonctionnelle, depuis l'appareil à gaz au protocole de connexion entre deux systèmes informatiques. Et la norme organisationnelle, définissant l'organisation optimale d'une entreprise au sens de la qualité, pour les hommes comme pour les processus de gestion et de production.

Ces normes organisationnelles, souvent appelées "du troisième type", représentent déjà une révolution pour la normalisation. Beaucoup n'attendaient pas ce type de démarche, qui se rattache à des référentiels normalisés décrivant les principes de mise en oeuvre d'une "prestation de service" et non plus seulement d'un produit.

Cette évolution a plusieurs raisons:
- complexification technologique des produits et des processus de production et d'échanges industriels et commerciaux,
- développement de la notion de réseau autour de l'électricité puis des technologies de l'information, qui imposent des contraintes fonctionnelles complexes,
- émergence de besoins globaux liés à la qualité et à l'efficacité des entreprises, avec la perception des enjeux liés aux aspects humains.

La normalisation du 4eme type: conceptuelle

Il faut alors abandonner complètement la vision traditionnelle de la normalisation. La démarche consiste à essayer de modéliser les relations informationnelles entre organisations. C'est le cas par exemple des travaux menés par l'ISO sur l'EDI ouvert.

Le passage au conceptuel s'explique par:
- une prise en compte plus précise des nécessités de qualité totale, de conception, production et maintenance parallèles et non plus séquentielles,
- la reconnaissance de la primauté des aspects immatériels dans les organisations modernes,
- la maîtrise et le partage des flux d'information: systèmes d'information, entreprise étendue, bases de données réparties, etc.
- la poussée des EDI avec des besoins croissants d'ouverture et d'intégration des applications, données et systèmes en cause.

Dans cet esprit, la normalisation internationale développe actuellement les outils suivants:

- un modèle conceptuel des relations d'affaires, faisant appel à des échanges structurés de données;
- des scénarios avec de véritables "acteurs" ayant un "rôle" et des "répliques" à jouer et ouvrant des possibilité se réponses variées selon les groupes d'utilisateurs en cause,
- des services génériques de transport définissant des fonctionnalités à respecter indépendamment des moyens physiques (protocoles informatiques) disponibles,
- une gestion centralisée au niveau mondial des relations d'affaires, des scénarios types, des dictionnaires de données messages et des annuaires de services.

Même si beaucoup de choses doivent encore être clarifiées, la communauté mondiale des EDI semble s'orienter avec détermination vers ce modèle conceptuel. Il est lui-même générateur de multiples normes précisant les différents types d'échange.

L'étape ultime: vers un hypermonde normalisé ?

Peut-on élargir la modélisation propre à l'EDI en visant un modèle plus global prenant en compte:

- l'ensemble des organisations socio-économiques: entreprises, administrations, collectivités, Etats, etc.
- l'ensemble des liens physiques et immatériels qui leur permettent de fonctionner et qui les relient dans une vision proche de celle du multimédia,
- l'ensemble des rôles qu'elles jouent dans l'économie...

Peut-on alors imaginer une normalisation "suprême", réunissant tous les acteurs socio-économiques et fixant au niveau du monde:

- un modèle universel des relations (intra et inter) entre toutes les organisations structurées, qu'elles se situent au plan international, régional, national ou local. Des modèles types pourraient être ceux des grands opérateurs: multinationales, banques, assurances, groupements d'usagers, collectivités, armées, etc.
- les différents modes d'action et d'interaction entre eux, qu'ils fassent intervenir des hommes, des produits et es services, des données, avec les besoins, pouvoirs, contraintes liées...
- un processus central d'enregistrement et de gestion de ces modèles de relations socio-économiques que l'on pourrait considérer être de véritables normes du 5eme type.

Une formidable compréhension et maîtrise des mécanismes économiques et sociaux qui gouvernent le monde serait possible à travers une telle démarche. L'informatisation complète de ces modèles et leur accessibilité par toute organisation en évolution permettrait de faire jouer de façon rationnelle les mécanismes socio-économiques.

Le décloisonnement serait assuré en évitant le développement de relations structurées ou informelles bâties sur des solutions incompatibles.

Mais où est la limite? La normalisation peut certainement aller très loin, surtout si elle s'appuie sur un processus volontaire (et sur l'EDI, bien sûr).

Mises en oeuvre toutes ensembles, les normes du 1er au 5eme type pourraient-elles modeler le monde dans une vision cosmique d'harmonie et d'ordre universel ? La réponse n'est plus du domaine de compétence de la normalisation, mais plutôt de la théologie!

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