Manifeste de l'hypermonde (suite)

Alain Vincent: La liberté dans l'hypermonde

Une fuite ou des retrouvailles ?

"J'étais tout seul, l'autre soir, au Théâtre français", à vrai dire au bar en face du théâtre... Attablé en quête de culture ou de rencontre, les seuls bruits ambiants étaient ceux des machines à sous et les consommateurs, tels des extraterrestres, s'entrechoquaient sans se choquer, des passants...

Le matin, j'avais pris le "transport en commun": de commun il n'y avait que la banalité des lieux... de transport, il n'y avait rien pour se faire plaisir... le poids des mots. J'avais rendez-vous à la Défense, au Cnit. Ce centre d'importance où exposants et entreprises ont tout loisir de se rencontrer, est le symbole d'un monde en mutation: là où systèmes d'information rime -dit-on- avec communication, on ne rencontre et ne discute que de moyens et de techniques ultramodernes: à l'intérieur et autour, cartes magnétiques d'accès, caméra, automatismes divers. Tout près, à l'extérieur, dans le monde des hommes que sont les entreprises implantées sur le site, même constat ou peu s'en faut, car il y a toujours un temps de retard dans l'assimilation...

Rien ne retient l'avenir de l'homme si on ne retient l'avenir de ce que communique l'homme.

A défaut d'être la ruine de l'âme, "science sans conscience" en est à coup sûr sa léthargie. Les moyens de communication et d'information mis à notre disposition se sont insinués dans notre quotidien, et aucune réflexion ni éthique n'est venue consolider cette occasion historique de renouveau de notre société actuelle et en devenir.

Au delà du désir de retenir le présent, voire l'avenir, le propre de l'homme, sa raison d'être, consiste à les appréhender et, dans la mesure du possible, à les contrôler.

L'hypermonde, occasion de liberté: le rêve, certes...

Si l'on veut bien considérer les progrès accomplis dans ce domaine, force est de constater qu'un miracle a eu lieu: d'ésotériques, les méthodes de communication sont devenues accessibles et bientôt, sous réserve de concurrences effectives, peu onéreuses eu égard aux services qu'elles rendent ou sont en mesure de rendre. Elles seront désormais notre quotidien. Très prochainement, elles feront exploser nos limites d'imagination, de créativité.

Au delà de l'expression des mots et des données logiques, elles touchent et intègrent l'image, le son, l'imagination. Au delà de l'espace à deux ou trois dimensions, elles sont déjà dans les dimensions n, là où personne ne peut nous rejoindre si ce n'est l'authenticité des êtres.

Tout être humain, dès lors qu'il peut accéder à ces techniques, voit se développer, au fur et à mesure de son implication, toute une perspective de champs d'exploitation, d'espaces d'innovation, de rêve personnel et de coopération avec autrui.

Ce n'est plus une contrainte de moyens, mais un défi d'objectif auquel nous sommes confrontés.

Il n'est nul besoin de prétendre décrire en détail tous les bienfaits à en attendre: d'autres s'en chargeront, et avec talent, parce que l'aspect économique et rentable de ces disciplines est patent. L'hypermonde ne laissera bientôt plus personne indifférent.

Mais le réveil ! piège de dégénérescence, l'esprit du malin...

Le danger est, une fois de plus, à rechercher dans le non-respect de l'éthique. Loin de servir à chacun, l'hypermonde risque de ne favoriser que certains, les nantis. Mais ne nous y trompons pas, les nantis ne sont pas nécessairement ceux qu'on croit.

Dans l'esprit de notre société, encore tournée vers le matériel, les nantis sont ceux qui peuvent acquérir des biens pour en disposer au nom du principe sacré de la propriété. L'argent était à ce jour la seule référence de mesure, il était naturel de ne voir dans les nantis que les personnes disposant de capitaux ou de revenus substantiels. L'usage que l'on en fait reste à ce stade accessoire. Avec cette règle du jeu, le nanti n'a aucun intérêt à faire fructifier son acquis.

Si, au niveau du fonctionnement de notre société, rien n'est tenté pour rétablir un minimum de valeurs, un risque majeur se dessine: celui de l'explosion de la société pluraliste qui, tout en respectant l'individu dans ses choix de vie, donne néanmoins à chacun la chance de progresser suivant sa "conscience d'être". Sans cette composante, l'esclavage est à nos portes, la liberté un vain mot.

A ce jour, le danger existe, il est même à notre porte, car le plus facile des techniques d'information a déjà été approprié par notre communauté, le plus ardu, - l'essentiel de sa richesse - restant à définir et à orienter n'intéressant à ce jour que peu de personnes ou d'organisations. Et pourtant, que de pouvoirs et de manipulations en filigrane!

Le politique est ici au premier chef concerné, puisque de son attitude résulteront les comportements des citoyens du futur. Aux armes citoyens, le péril est identifié. Le courage est entre nos mains.

L'hypermonde, à la fois le rêve et le cauchemar. Mais une donnée: l'enjeu décisif de la société du XXIeme siècle est bien la maîtrise de l'information

Dans cette dynamique, le danger essentiel est de voir capté ce potentiel stratégique du futur, la puissance de l'information et de sa communication, par un petit nombre, les nouveaux nantis. Ceux-ci ne sont et ne seront pas ceux qui possèdent, mais ceux qui imaginent et qui agissent. Dans ce cadre, contrairement à ce que nous croyons, le savoir est distinct du pouvoir, en particulier de celui de l'argent. Ce dernier n'est que l'image de la valeur ajoutée établie et figée à l'instant.

C'est ici que l'hypermonde constitue la plus grande chance de notre temps pour garantir l'espace de liberté des individus. Neutre, sans a priori dogmatique ni moral, l'hypermonde saisit la technique quand elle arrive, et la transforme en un phénomène majeur de société avec la conscience que cette dernière possède et acquiert du phénomène. C'est là où l'éthique entre en ligne de compte.

Composé de techniciens de pointe et de dilettantes, au sens propre, de l'expression et de la communication, l'hypermonde constitue le centre de gravité de cet ensemble complexe et sensible qui fera la communication de demain et la structure de l'information ainsi véhiculée. Comme tel, il peut sans effort démesuré orienter la dynamique de ce que seront les systèmes d'information modernes. Neutre, il se situe néanmoins au pivot de la bascule mais amplifie le moindre souffle.

L'éducation et le réapprentissage de la liberté, la chacune de chacun avec et contre les autres

Pour cerner cette dynamique, il importe de prendre en compte deux critères fondamentaux: savoir personnel, savoir partagé.

- Le savoir est d'ordre personnel. Il fait partie de l'être individuel. A ce titre, il n'est ni cessible ni appropriable par la force ou la ruse. Il est de la même essence que la liberté, en dehors du critère économique. Il n'est pas du système, il ne devient pas. Il est, même si son expression a besoin du temps et des autres .

- Le savoir n'a de valeur que s'il est partagé. A défaut, il n'est qu'espérance ou égocentrisme avorté car le propre de l'homme est d'exister et seuls les autres nous révèlent notre existence au quotidien.

Dans cette dialectique, il nous faut inventer un monde à deux visages, qui valorise le savoir de l'être (à ce titre, ceci doit être indépendant du pouvoir de l'argent, d'où le rôle des politiques qui doivent préserver un certain équilibre: l'éducation est la composante de base du savoir) et qui favorise le partage (lequel est d'ordre économique, car il procède de l'imagination et de la valeur ajoutée). La condition essentielle de survie et de développement d'un tel espace de communication est le respect de ce qu'il n'est pas: savoir réserver un espace à ce que n'est pas l'hypermonde afin de mieux en démontrer les avantages tant il est vrai que la preuve d'efficacité ne se construit que par comparaison.

La seule issue de notre humanité, telle qu'on peut la percevoir actuellement: c'est d'assumer un enjeu décisif que l'on fera à la mesure de notre ambition

Le pari est pris, l'enjeu est circonscrit, les acteurs et moyens définis. Il reste le courage, celui de regarder, au delà des intérêts particuliers et des visions paresseuses de court terme, ce vers quoi notre humanité se dirige. Les générations nouvelles reprochent aux nôtres d'avoir été imprévoyantes (sécurité sociale, retraites), pusillanimes (faiblesse dans la généralisation des conflits locaux pour éviter les conflits majeurs), inconscientes (laxisme en période faste sans prévoir les temps difficiles, oubli du respect des équilibres fondamentaux tels le tiers monde, l'écologie).

Certes, pour sauver l'essentiel, il faut avoir le courage de reconnaître que, polarisés par nos frustrations de société d'alors et notre soif hédonistique, nous sommes effectivement responsables à certains égards de cette dérive dramatique, par inconscience ou peur d'assumer la responsabilité individuelle au prétexte du sacro-saint consensus.

Le problème que notre génération a laissé entier, et c'est pire quoiqu'on en pense, c'est celui de la liberté de l'être. Il n'y a de liberté que s'il y a total partage, véritable communication. A ce titre, il n'est que justice de reconnaître que nous avons acquis les moyens de communication moderne. A nous, jeunes et plus âgés, d'en redécouvrir l'âme grâce à un hypermonde maîtrisé.

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