Manifeste de l'hypermonde (suite)
Dans l'hypermonde toutes les perceptions
sont médiatisées. La réalité n'est constituée que d'espaces
virtuels. Il ne s'agit plus de science-fiction. Les outils sont
disponibles.
Dans l'hypermonde, comme dans le monde des
objets informatiques, le sujet est en situation de communication.
Communiquer c'est transmettre un message à autrui (en vue de
l'influencer, besoin anthropologique de l'homme). Il est possible
de représenter les interactions existantes selon le modèle de
communication de Jakobson: un récepteur reçoit des messages,
lesquels utilisent un code et des signes se rapportant à un
référent, une relation existe avec un émetteur, un médium est
utilisé. Les productions de l'hypermonde se développement,
émetteur et récepteur se côtoient, virtuellement. Les
artefacts se multiplient. Jacques Ellul écrivait en 1977 :
"L'homme a cessé d'être dans le milieu
"naturel"... pour se situer maintenant dans un milieu
artificiel. Il ne vit plus en contact avec les réalités de la
terre et de l'eau mais avec celles des instruments et des objets
qui forment son environnement" (Le système technicien).
D'un monde d'objets matériels, en passant par le monde de
l'informatique, nous allons vers un monde d'objets immatériels.
Quelles modifications dans les processus d'acquisition des
connaissances ?
La compréhension des signes perçus conduit vers l'étude d'une
sémiologie, distinguant le signifiant perçu, fugitif, du
signifié pensé, prééminent. Dès lors, l'étude de
l'hypermonde apparaît selon la description et la connaissance
des processus perceptifs de l'homme (les activités sensorielles)
et des processus opératifs (les activités cognitives) dans les
situations de communication linguistique et non linguistique
(visuelle, sonore notamment) qu'il crée. L'effet sémiologique
est une réduction de sens, où le nom de linguistique l'emporte
sur le linguistique. Il y a limitation de l'initiative, de l'arc
réflexe de la pensée.
Ainsi les objets de l'hypermonde sont-ils susceptibles d'affecter
notre mode de pensée, d'acquisition des connaissances?
Dans notre étude "Sémiologie de l'informatique et système
socioculturel" (1983), nous avons défini les
caractéristiques suivantes: -l'isolement du récepteur,
l'abondance des signes non-linguistiques (sémiologie de
l'informatique), la diminution des observables et donc des
actions perceptives et opératives du sujet.
Ces caractéristiques sont inspirées directement des travaux de
Jean Piaget sur l'épistémologie génétique, où il précise
que "Les choses sont agies avant d'être représentées.
Il faut agir pour comprendre et non l'inverse. L'objet est à
l'origine de l'activité perceptive et opérative du sujet" (Naissance
de l'intelligence chez l'enfant, 1977).
Les objets immatériels de l'hypermonde sont agis
L'hypermonde rétablit un nouveau rapport ente le sujet et
l'objet virtuel. Cet objet peut être agi, ses formes et la
cinétique sont reconstituées. Il y a augmentation du champ
sensoriel et non réduction.
Dans l'exemple des systèmes complexes, civils ou militaires, de
pilotage de crises, où il est nécessaire d'établir et
d'évaluer des situations en cas d'événements graves (tels que
catastrophes naturelles, accidents technologiques), le décideur
a besoin de communiquer. Communiquer pour savoir, anticiper,
visualiser la situation sur le terrain, et donc agir. En
situation de crise, il n'y a plus de limite, c'est l'incertain,
la complexité, l'inconnu.
Le sujet décideur a besoin de repères, il doit reconstituer les
objets, le milieu, spatialiser les données qui lui sont
nécessaires (comme le montre par exemple l'essor actuel des
systèmes d'informations géographiques). Il y a nécessité de
s'affranchir des contraintes de temps, d'espaces, de lieux.
Nécessité d'un recul, d'une stabilité face à l'instabilité.
Citant de nouveau Jean Piaget, il est
précisé que l'intelligence est une adaptation continue, une
construction de structures, équilibre entre l'assimilation et
l'accommodation, c'est à dire acquérir et retrouver des
schèmes d'actions (systèmes clos de relations, de conduites
structurées et intériorisées) et créer de nouveaux schèmes
d'actions. Connaître, poursuit Jean Piaget, c'est produire en
pensée, construire et reconstruire à partir des niveaux
d'abstraction (empirique, tirant ses informations des
observables, et réfléchissante, coordination des actions du
sujet).
Afin d'agir sur le monde virtuel, pour interagir sur le monde
réel et communiquer, le sujet a besoin de médias pour
reconstruire de nouvelles formes dans la pensée, de nouveaux
schèmes d'action.
Dans l'hypermonde, fusion des technologies multimédia, c'est le
domaine de la simulation, de la projection dans le temps, de la
prévision, mais aussi de la reconstruction des perceptions
subordonnées à la présence de l'objet.
Comprendre l'homme au travers de ses productions.
Les techniques se développent, mais beaucoup reste à faire pour
en comprendre les interactions avec l'homme. La communication
dans l'hypermonde ne se réduit pas à l'étude des outils, mais
nous entraîne vers l'étude de la complexité humaine. Dans
l'hypermonde, il y a restitution des activités perceptives et
instrumentales de l'homme. Mais l'image et l'objet ne doivent pas
cependant occulter les autres signes utilisés dans la
communication, ceux de la parole et de l'écriture.