Maintenant l'Hypermonde (suite)
Dans l'hypermonde, je rencontre donc des objets de tous niveaux. Certains ont un haut degré de complexité comme d'autonomie: les êtres humains. Ils ont pris tellement d'importance que le monde "naturel" les entoure comme un fond de tableau.
Il s'agit d'organiser tout cela au mieux... dans la mesure où j'en ai le pouvoir, où nous en avons ensemble le pouvoir. Parlons d'abord de l'organisation des objets non-humains, et principalement des machines. Nous nous intéresserons ensuite aux groupes humains: l'équipe, la famille, l'entreprise, l'Etat.
Organiser les machines et leurs relations entre elles? La question est double: d'une part l'organisation des moyens techniques qui portent l'hypermonde, d'autre part les objets que j'y vois, indépendamment de leur implantation concrète.
Organiser les machines, c'est une question que je voudrais bien mettre entre parenthèses, considérer comme résolue, ou du moins comme d'un intérêt mineur. C'est de la cuisine. Je voudrais me consacrer à des tâches de niveau supérieur. Je pourrais éviter de "mettre les mains dans le
cambouis" si la puissance des machines était infinie. Ou plus précisément si elle était tellement supérieure aux besoins, et aux désirs, que toute solution technique ait assez de puissance de calcul, de capacités de mémoire, de débits de transmission.
Or la puissance manque toujours. Il faut faire des choix. Il faut "bidouiller". Il faut s'intéresser aux détails de la technique. Que cela me plaise ou non. Et, en particulier, installer les moyens informatiques supportant l'hypermonde, ordinateurs, mémoires, lignes de communication, à un endroit ou à un autre. Et définir leurs relations.
C'est la tâche traditionnelle des informaticiens. Et l'on voudrait pouvoir se passer d'eux, car leur mentalité d'ingénieur n'en fait que rarement des champions de la relation humaine. Les plus doués pour la communication rêvent souvent de se débarrasser de ce rôle d'"officier des machines" pour se consacrer à des tâches plus nobles, au "métier de l'entreprise", par exemple. Or il reste toujours du travail au plan de la technique.
Au début des années 90, par exemple, le traitement de l'image consommait une telle puissance de calcul que l'on ne pouvait pas la répartir sur tous les bureaux. Dès que les utilisateurs avaient acquis la maîtrise de leur outil, ils en percevaient les limites. Ils réclamaient plus de convivialité, moins d'attentes, l'accès à des ressources nouvelles. Quant aux moins favorisés, individus ou pays entiers, c'est l'accès à toute forme d'informatique qui restait hors d'atteinte.
Autre exemple. Même si la technologie a beaucoup progressé, l'espace matériel et les contraintes techniques continuent de se faire sentir. Car de fortes puissances de traitement impliquent une grande rapidité de communication entre les machines. Or, la vitesse de la lumière ne peut pas être dépassée par nos signaux.
Si une machine fonctionne à 30 Mégahertz, par exemple (comme on dirait d'un moteur qu'il tourne à 30 millions de tours par seconde), comme la lumière va à 300 000 kilomètres/seconde, elle ne peut faire que dix mètres entre deux tours de la machine. C'est pourquoi les super-calculateurs les plus puissants sont matériellement des machines assez petites.
Mais bien d'autres questions se posent et se poseront. Parmi celles qui émergeaient au début des années 90, on notait le choix d'une "architecture des moyens de traitement de l'entreprise". Il s'agissait de choisir un modèle: après les modèles centralisés des origines de l'informatique, puis le modèle éclaté de la micro-informatique, on s'acheminait vers des solutions composites, par exemple le modèle "client serveur".
A l'horizon de 2050, dix milliards d'êtres humains vont avoir chacun un ou plusieurs ordinateurs, plus les automates et robots en tous genres. C'est une tâche énorme que de structurer les relations entre ces milliards de machines.
Des questions aussi difficiles, et à terme plus importantes, se posent dans l'organisation des logiciels et des données. Et cela nous conduit aux objets même de l'hypermonde, qui sont à terme l'essentiel, même si l'organisation du support matériel reste toujours posé.
Les objets logiciels se sont assimilé les objets matériels. La question n'est donc plus d'opposer le logiciel au matériel, le software au hardware. Ce qui demeure, c'est la nécessité de traiter les problèmes de bas niveau. Les joueurs de Go savent bien qu'on ne peut consacrer tous ses efforts aux grandes stratégies: il peut suffire d'un pion mal placé pour mettre en péril un vaste territoire.
Ne rêvons pas trop d'un hypermonde où l'on pourrait se concentrer exclusivement sur les tâches nobles, les grandes finalités, les beaux sentiments. Hommes nous sommes. Et nous aimons nous servir de nos mains, bricoler, oublier les grands problèmes dans la construction ou la manipulation des joujoux techniques. Selon les tempéraments, les rôles se différencient. Les uns préfèrent le court terme et le détail, la subtilité technique et le tour de main. Les uns aiment mieux les grandes synthèses, les vastes horizons de l'abstraction, l'animation et l'organisation des grands ensembles. Comment s'organise leur réflexion et leur action?
Dans l'hypermonde, comment nous organiser pour bien travailler ensemble. Intéressons nous d'abord au petit groupe, à l'équipe. Une grande partie des réunions est médiatisée par l'hypermonde. C'est qu'on appelait hier la "télé-réunion", la télé-conférences ou la visio-conférences. La simple télévision était déjà une forme importante de rencontre, même si elle était à
Comment organisons nous nos images respectives dans les présentations que nous nous offrons les uns aux autres. On peut se contenter de simuler une réunion réelle. Par exemple, chacun des participants, depuis son casque, voit l'ensemble des autres réunis dans un même lieu, présenté à tous de la même manière et en fonction de la position où il se trouve.
Mais on réalise aussi toutes sortes de présentations différentes. L'hypermonde est une chance pour certaines formes de handicaps relationnels. Hiltz et Turoff ont découvert par l'expérience que les télé-réunions redonnaient une parité de chances à des personnes gravement blessées au visage, par exemple. Et aussi, que l'anonymat des pseudonymes redonnait leurs chances aux femmes dans l'univers machiste de l'entreprise (au moins de l'entreprise américaine à l'époque où elle écrivait).
Chacun des participants, par exemple, peut organiser une présentation à sa guise, où il a le fauteuil présidentiel, la bonne place, le beau rôle. Ici encore, le jeu des distorsions finit par se payer. Quand la relation se fait durable, qu'elle cherche à s'approfondir, les masques tombent. Cependant le jeu de la vérité a ses limites. Le vêtement fait partie de la vie sociale. L'hypermonde nous ouvre la possibilité d'autres systèmes vestimentaires, d'autres manières d'habiller notre image.
Cette organisation des réunions dans l'hypermonde consomme des moyens matériels et logiciels considérables. C'est ce que l'on peut appeler le "groupware" (Voir l'ouvrage d'Irène Greif). Il a mis longtemps à se développer au XXeme siècle. On peut s'en étonner. D'ailleurs, un des traits marquants de ces décennies 70-90, ce fut leur incapacité à renouveler sérieusement la nature des rapports sociaux.
Les vieux modèles s'usaient, les murs et les conventions tombaient. Mais les espaces ainsi dégagés ne tiraient pas réellement profit des nouvelles capacités technologiques offertes à la rencontre. Les messageries, forme pourtant relativement simple de groupware, ne trouvèrent jamais leur "masse critique" tant qu'on n'y adjoignit pas l'image et un peu de voix.
Ce n'était nullement nécessaire techniquement. Mais le système clavier-écran restait dissuasif pour la majorité. De plus, les systèmes ne communiquaient pas entre eux. Il était donc trop malpratique d'avoir à employer des systèmes différents pour différents groupes d'interlocuteurs.
Cependant le groupware parvint à progresser. Parmi les groupes importants, et remis en question dans les années 70-80, la famille a conservé son rôle central.
Elle a confirmé son rôle essentiel à la nature, à la culture humaine (note de l'auteur en 1991: c'est évidemment une hypothèse, ou au mieux une conviction).
La famille, c'est le coeur de l'hypermonde. Education, sexualité, psychanalyse, cycle vital... Et le jeu n'est pas joué. Tout ici semble encore possible, tout pourrait d'ailleurs co-exister. Depuis une conservation presque totale de la cellule familiale traditionnelle, peut-être même ré-étendue à une petite "tribu", une petite "maison" au sens antique, plus naturelle que la famille nucléaire actuelle. Jusqu'à la médiatisation totale par l'hypermonde. Poussons un peu la description de cette situation limite, même si elle prend des allures de cauchemar.
Techniquement, l'hypermonde permet de faire éclater totalement le couple homme-femme et même mère-enfant dans une médiatisation totale par l'hypermonde, depuis la conception in vitro jusqu'à une incinération sur place. Pour ceux qui font ce choix totalité de l'existence se passer dans un "cocon" de l'hypermonde, où jamais ils ne rencontrent d'autres êtres humain. Cette situation limite est rarissime.
Elle est d'ailleurs en principe interdite, pour protéger les enfants contre un abus de pouvoir des géniteurs ou des autorités de tutelle. Les lois de protection maternelle et infantile ainsi que la scolarisation obligatoire ont été adaptées à l'hypermonde, et préconisent le contact physique. Sauf nécessité médicale.
Cauchemar, rêve, phantasme... En tous cas, dans certaines de ses phases, réalité bien concrète pour certains d'entre nous. Dirai-je à un "bébé éprouvette" devenu adulte qu'ils n'aurait pas dû vivre? Tel ami, grand prématuré, ne doit de vivre qu'à d'incroyables "couveuses". N'avait-il pas droit à la vie. Dirai-je à cet oncle centenaire, avec ses prothèses mécaniques et chimiques un peu monstrueuses, qu'il est de trop?
Tout est affaire de limites. Et de limites qu'il faut définir et toujours redéfinir ensemble. Ne faisons pas ici le travail des comités d'éthiques, mais tentons de pressentir leurs débats. Plutôt qu'un discours froid, je vous propose une sorte d'auto-biographie.
J'ai d'abord été un projet. Et même la simple racine d'un projet, dans la dynamique d'un père et d'une mère. Le jour précis où ils m'ont conçu, ils avaient dans la tête, et dans le ventre, plus le désir et le plaisir que la volonté explicite de procréer.
Encore que, dans l'hypermonde, j'ai peine à admettre qu'une décision aussi importante que ma conception ait été laissée au hasard des hormones, des cycles de fécondité, de la chaleur d'un bon vin ou de la stimulation d'un spectacle érotique regardé à la télévision à la fortune d'un zap.
Je crois que j'ai été vraiment voulu. Quand ils ont fait l'amour, ce soir là, ils ont tout voulu et tout eu à la fois. Le plaisir, la tendresse, et l'enfant. Ah, je n'en suis pas tout à fait sûr. De leurs corps à corps, ils n'ont pas fait d'enregistrement! Mais, à en juger par leurs sourires...
Tout le monde n'a pas cette chance. On s'entoure aujourd'hui de tant de précautions pour procréer, que c'est quasiment un luxe de faire un enfant à la femme qu'on aime sans médiation d'une éprouvette quelconque.
Mes parents souhaitaient cette réalisation naturelle. Ils avaient fait tout ce qu'il fallait pour y parvenir. Préparation du corps et du coeur. Bravo, et merci. Mais je ne plains pas trop la plupart des gens de mon âge. Ils sont un peu plus "artificiels" que moi, et ne s'en portent pas plus mal. D'autres, sont même un peu trop naturels, si vous voyez ce que je veux dire.
Pas tout à fait de l'eugénisme et du génie génétique. Mais tout de même un projet. Mes parents avaient déjà un garçon et une fille, ils ont choisi d'avoir un deuxième garçon. Et ils ont fait rectifier immédiatement de petites anomalies génétiques remarquées dès que ma mère a été certaine qu'elle m'attendait.
Pour le reste, la couleur de mes yeux, de mes cheveux, je crois qu'ils ont laissé faire la nature. Ils n'ont pas trop voulu savoir. Laissé un peu faire "la providence", comme disait mon arrière-grand mère dans son langage d'une époque révolue. Un équilibre, donc. Ils m'ont voulu, mais ils m'ont aussi laissé être, à ma fantaisie, dès avant que je ne dispose du langage pour exprimer mes fantaisies.
La première fois qu'ils m'ont vu, papa et maman, c'était six mois avant ma naissance. Une image de synthèse à partir d'échographies et autres résonances magnétiques. Ils ont déjà commencé à m'aimer. En se demandant tout de même si la synthèse correspondait bien à la réalité. Et en regrettant déjà ma petite insuffisance digestive. Juridiquement, ma mère aurait pu décider d'avorter. Ou encore lancer une opération de rectification intra-utérine. Ou encore me faire transférer directement en couveuse et me "normaliser", comme on dit. Elle, et lui, n'ont pas voulu. Il n'y avait rien de grave. Je serais ainsi.
Déjà d'ailleurs, ils commençaient à se faire une petite idée de mon caractère. Toutes ces petites ondes que j'émettais, tous ces petits mouvements que je faisais dans le ventre de maman, ils étaient déjà méthodiquement, et maternellement, et paternellement, et amoureusement analysés.
Le jour de ma naissance... un difficile moment à passer, mais on n'en était plus à prôner la douleur pour la douleur... ils avaient tout préparé pour que mes yeux s'ouvrent dans un hypermonde bien adapté à mon tempérament.
Moi, le projet, j'ai commencé à me faire entendre. J'avais de la voix, et d'ailleurs les parents ont gardé quelques séquences de vidéo 3D qui ne laissent aucun doute sur la puissance de mes cordes vocales. Le projet, de biologique, s'est peu à peu fait éducatif. Mon hypermonde s'enrichissait au fil des ans. Mes parents coopéraient avec une équipe de spécialistes pour doser l'apparition des objets nouveaux, pour les adapter à la personnalité espiègle et non-conformiste qui s'est tôt affirmée.
Peu à peu, j'ai pris part à la définition de ce projet éducatif, à la recherche de cette vocation. Longtemps un peu indistincte. Ou focalisée au fil des ans sur le genre de stéréotypes qui plaisent aux enfants, aux adolescents: pilote de véhicule spatial, médecin, prophète...
Autour de moi s'étoffait, se personnalisait mon hypermonde à moi, avec mes mémoires, mes personnages favoris. Et de plus, en plus, mes souvenirs. Mes parents, l'école, la société y déversaient régulièrement des milliards d'octets, au fur et à mesure de ma capacité à les intégrer harmonieusement, à les maîtriser. Peu à peu aussi j'acquérais des droits sur les hypermondes collectifs. Je prenais part à des décisions de moins en moins anodines.
Et puis, un jour, nous avons célébré ma majorité. Avec un volet bien matériel, un bon vieux gâteau à bougies comme depuis si longtemps. Mais aussi un volet "hyper" bien explicite: les parents ont recopié dans mon hypermonde l'ensemble du patrimoine de la famille, ne se réservant que leurs souvenirs intimes. Avec mes frères et soeurs, nous avons fait un vaste partage.
Dans l'hypermonde de la ville, de l'Etat, je suis devenu un citoyen à part entière. Avec un service de défense nationale, et des impôts à payer (cependant longtemps compensés par les allocations d'études).
Peu à peu, j'ai commencé à gagner ma vie. A créer plus de valeur ajoutée que je n'en consommais. J'ai choisi de me spécialiser dans la conception hypermédiatique, avec une orientation formalisante et prospective, comme vous le savez. Nous en reparlerons d'ailleurs. Et puis un jour, au détour d'un hyper-voyage dans les Alpes, j'ai rencontré Marie-Thérèse et nous avons commencé à faire quelques ...projets.
Le problème, maintenant (excusez ce mot problème, froidement fonctionnel), c'est celui de mes parents, qui commencent à maîtriser plus difficilement leur interface. Peu à peu, d'un commun accord, nous l'adaptons. Ils ont le sentiment d'avoir eu leur part, joué leur rôle. Notre dialogue s'épure. Un jour, ils passeront la main, sublimeront définitivement leur projet. On leur a proposé un "downloading" de leur cerveau dans un système informatique. Mon père était tenté, un moment. Puis il a vu que ma mère préférait s'embarquer directement pour un monde vraiment autre. Et il a préféré l'y rejoindre.
Mais ils sont plus que jamais présents dans notre hypermonde. Avec vidéo en relief, on se croirait parfois encore hier, même si les enregistrements d'autrefois n'ont pas la qualité de ceux d'aujourd'hui. Ils ont eu une vie formidable, et j'ai l'impression qu'ils ont toujours quelque chose de nouveau à m'apprendre.
- Vous m'avez bien montré que l'on pouvait vraiment travailler dans l'hypermonde. Mais y a-t-il encore des entreprises.
- Bien sûr, bien sûr. Même si elles ont tendance à changer aussi vite que vous zappez sur votre téléviseur. Mais le concept d'entreprise demeure.
Laissez moi vous raconter une petite histoire avant de revenir aux conversations sérieuses.
Dans la salle stratégique du groupe Seggouyb se prépare aujourd'hui le financement d'une exceptionnelle opération de travaux publics en Egypte. Il s'agit de construire, dans l'alignement de la grande pyramide, trois grands arches hélio-éoliennes. Cette nouvelle technologie, combinant l'énergie solaire et les courants atmosphériques, doit instaurer un nouveau régime de pluies sur le bassin du Nil, et résoudre ainsi le problème alimentaire de la population égyptienne, qui atteint maintenant 120 millions.
Les travaux seront réalisés par le groupe Seggouyb, British Builders Ltd et un consortium sud-coréen. Le budget s'élève à dix milliards de dollars. Le financement viendra de l'état égyptien (20%), du FMI (40%), de promoteurs privés (30%) et enfin d'un vaste Téléthon mondial.
Le tour de table, si l'on peut transposer cette expression à cet hémicycle tourné vers le grand panneau synoptique à cristaux liquides, est un peu inhabituel.
D'ailleurs, la réunion est purement "télé". Chacun est resté chez soi, mais affecte ses écrans à la reconstitution d'une salle identique dont le modèle a été téléchargé par les services de Seggouyb sur les coins hyper des logements de chaque participant. Et chacun a dû accepter le contrôle du bureau Veritas qui garantit que chacun est seul chez lui et qu'il n'y a pas d'auxiliaires cachés qui distordraient l'équilibre des forces.
Aux côtés de Nitram Seggouyb et d'un représentant du FMI, voisinent un ayatollah égyptien représentant le mouvement islamiste international et... Vania Céleste, la chanteuse, dont on attend beaucoup pour faire exploser les chiffres du Téléthon. On lui donnerait toujours quinze ans... Troublé, l'ayatollah demande qu'elle mette un tchador pour l'émission. Mais c'est le banquier lui même qui se charge de lui exposer les avantages... d'un peu de féminité pour émouvoir le coeur des téléspectateurs.
Chacun prend sa place. La situation de départ commence à s'afficher sur les écrans, puis la discussion commence. Le budget semble un peu court pour de tels travaux. Nitram Seggouyb, images de synthèse à l'appui, explique que les seuls coûts du gros oeuvre doivent être réévalués d'au moins dix pour cent. Vania Céleste promet de se déchaîner plus encore qu'à l'habitude... et l'ayatollah commence à envisager, à contre coeur, de demander son soutien à l'Iran.
Le banquier transforme peu à peu les images en questions concrètes: "Une pyramide, plus trois grandes arches, plus sept minarets, plus les deux coupoles de Vania, au taux actuel de 9,3274 86651 net, cela fait combien d'écus, Monsieur l'ordinateur ?". "Etes-vous prêt à accepter des fonds japonais", répond le réseau. "La bourse de Tokyo est, selon nos prévisions, à la hausse pour 23 minutes encore, on pourrait donc y trouver facilement quelques milliards de dollars, si vous vous décidez vite". Tour de table.
Chacun introduit ses commentaires avec son périphérique préféré. Clavier pour le banquier, gant sensitif renforcé pour l'homme du bâtiment, chapelet électronique pour l'ayatollah et souris, bien entendu, pour la vedette.
Le logiciel de mise en consensus fait peu à peu à la synthèse. Il faut convaincre les Coréens de laisser entre dans la place l'ennemi héréditaire. Vania sourit.
L'ayatollah laisse entendre qu'il pourrait encourager des dissidents pakistanais à relâcher un ou deux otages, donc que Washington verrait l'opération d'un bon oeil. Le banquier fait un petit geste pour rappeler que l'argent n'a pas d'odeur. Il lance les ordres financiers.
Quelques minutes suffisent pour avoir les résultats. tout à tour, les bourses de Tokyo, de New-York, de Londres et même de Paris sont secouées par de petits frémissements. Les actions du secteur BTP s'élèvent, celles des médias s'agitent. Certains taux vont jusqu'à varier de 0,000000004532%! Le banquier s'agite sur son fauteuil. Mais, ouf, le nouveau milliard est souscrit, à un taux finalement avantageux.
L'Egypte s'engage, en échange, à autoriser le Japon à ouvrir une école de judo pour filles à Alexandrie. Tout le monde sourit, surtout Vania. On remercie le banquier pour son efficacité, et certains notent déjà un prochain rendez-vous pour le quatorzième opération de re-bétonnage de Tchernobyl.
Dans chacun des logements, la salle "Seggouyb" disparaît. Le bureau Veritas télé-vérifie que rien de confidentiel ne reste en place. Avant même qu'il n'ait fini, chacun a déjà reconfiguré ses écrans pour d'autres activités. Vania fait une télé-interview avec un journaliste. Le banquier affiche une batterie de données chiffrées. L'ayatollah, dans la position rituelle, est tourné vers La Mecque. Nitram Seggouyb se met en communication vidéo directe avec un chantier au Viet-Nam. Il veut voir où on en est et encourager de la voix et du geste les membres de son corps d'élite ChicheKeBoub envoyés sur place pour aider les vietnamiens à lancer le projet.
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