Maintenant l'Hypermonde (suite)
Pour que l'on trouve quelque chose d'intéressant à voir, et à faire, dans l'hypermonde, il ne devait pas être un désert ennuyeux voire effrayant par son silence. Le désert n'attire qu'une élite.
Alors, pour le commun des mortels qui cherche des jouets, des tâches, de la compagnie, comment s'est rempli l'hypermonde? On peut distinguer trois sources principales.
D'abord, un simple transfert des fonds développés avec les technologies précédentes. C'était s'inscrire dans une longue tradition. Les premiers textes écrits ont repris des traditions orales: Homère, les chapitres anciens de la Bible. Le cinéma et la vidéo ont repris les grandes oeuvres littéraires. Alors l'hypermonde reprend encore les mêmes thèmes, le même imaginaire. Les jeux de stratégie, d'abord à base de papiers de figurines, puis sur ordinateur, ont repris les batailles du passé racontées par les livres d'Histoire. Les jeux de rôle ont puisé sans vergogne dans les récits épiques et les contes médiévaux. A quoi il faut ajouter les fonds, énormes, des bases de données constituées pour les entreprises. Des objets peu passionnants sans doute, mais... utiles!
Ensuite la connexion de l'hypermonde sur le monde matériel, par l'intermédiaire des caméras et autres capteurs. Avec images plus ou moins stylisées, transformées. Enfin, la création d'objets entièrement nouveaux, même si leur concepteur fait toujours plus ou moins appel à des idées pré-existantes, à des réminiscences, des souvenirs et des analogies; on ne peut tout de même pas nier que le cinéma ait inventé des personnages nouveaux, ni la bande dessinée, ni le dessin animé. Il y a donc des être complètement originaux dans l'hypermonde: si vous restez assez longtemps avec moi, ami lecteur, vous en inventerez aussi, j'espère.
Rappelons maintenant quelques sources importantes.
Le recensement américain de la fin du XIX eme siècle donna essor à la carte perforée comme support de données. Les grands instituts de statistiques sont aujourd'hui encore de grands stockeurs et fournisseurs de données. La référence quantitative de l'hypermonde, en quelque sorte.
Le minitel a joué en France un rôle de facilitateur pour l'accès à ces données. Il a suscité la création d'un grand nombre de services: consultation d'horaires, de bases de données en tous genres..
L'emploi de ce petit terminal bon marché n'était pas des plus pratiques. Assez vite, les propriétaires de micro-ordinateurs ou les informaticiens d'entreprise ont réalisé des "extracteurs" automatiques qui interrogeaient les serveurs et intégraient les données ainsi recueillies à des systèmes de décision aussi bien qu'à des jeux et simulations en tous genres. Par la suite, la normalisation a progressé, mais des milliers de serveurs de données s'étaient constitués. Leurs fonds et leur connaissance des besoins et des désirs des utilisateurs s'est tout naturellement intégré à l'hypermonde.
Les auteurs de jeux, mais aussi les créateurs de simulateurs (simulations militaires, simulateurs de conduite pour les avions, principalement), ont mis sous forme informatique d'énormes quantités de données mi réelles mi imaginaires. Le développement des jeux et leur mise sous forme informatique, a servi à intégrer à l'hypermonde une masse de données aussi bien "sérieuses" que ludiques, ou littéraires:
- historiques (exemples: guerres napoléoniennes, IIeme guerre mondiale)
- mythologiques (Donjons et Dragons).
Au début du XXIeme siècle, la quasi totalité des archives avait été transférée dans l'hypermonde. Il a fallu pour cela les transposer sur des supports électroniques appropriés (magnétiques, optiques, etc.).
Et intégrer ces supports aux réseaux de communication. Il n'y avait pas là de difficulté technique particulière, mais l'énormité des masses à passer au scanner, à numériser, etc. a pris des années. Les réseaux, eux aussi, ont mis un certain temps à disposer de canaux en nombre et en débit suffisant.
Les entreprises et services publics n'ont pas été les seuls à faire ce transfert. Laissez moi vous raconter le cas de mon fonds documentaire familial. Au cours de l'année 1995, prévoyant un déménagement de mon pavillon vers un appartement plus petit, j'ai scannérisé tous mes documents: papiers de famille, lettres, livres, photos, etc. J'ai fait numériser par une entreprise spécialisée les cassettes de magnétophone, ainsi que les bobines de film que je j'avais tournées ou que je tenais de mes parents et beaux parents.
Pour m'y retrouver, il a fallu que j'en établisse un classement, une description. Oh, je n'ai pas eu besoin de recourir à des descriptions ou indexations abstraites comme celles des débuts de l'informatique.
Transposant une technique mise au point pour les bureaux, j'ai filmé ma bibliothèque et les rayonnages où j'avais, exprès, bien rangé mes films, albums de photos, cartons de lettres. Voulez-vous que je vous les montre: je peux les feuilleter exactement comme je le faisais avant à la main, avec simplement les avantages de base de l'électronique réduction de l'encombrement, par exemple.
Mais il aurait été dommage d'en rester là, de ne pas profiter des facilités structurelles de l'hypermonde. Je me suis donc organisé des itinéraires de navigation plus riches. Par exemple, si je repense à l'oncle Léon, je peux sélectionner l'ensemble des documents qui le concernent, reconstituer les scènes.
Pour cela, je pourrais demander à mes ordinateurs de faire le travail de recherche comme on le faisait avec le papier: de lire toutes les lettres, de regarder toutes les photos et tous les films et d'en extraire tout ce qui concerne mon cher Oncle. Comme tout est numérisé, c'est possible. Encore que la "reconnaissance des formes" reste encore limitée. Alors, pour que l'ordinateur navigue plus aisément et plus sûrement, j'ai indexé mes documents, indiqué que telle bande de films contient des scènes de la Cognardière pendant les années 1925 à 1945, et qu'on y voit notamment Tonton Léon, Tante Julia et leurs enfants.
En 2005, j'ai acquis dans de bonnes conditions un système de reconstruction de scènes en trois dimensions. Alors, je peux maintenant reconstituer de manière réaliste la Cognardière en 1925 et y animer la famille, faire comme si j'allais les voir. Le résultat, évidemment assez imparfait, sent toujours un peu l'artificiel. Aussi je revient souvent aux images telles qu'elles ont été numérisées. Et j'ai même gardé quelques photos d'origine, pour le principe. Encore qu'avec les années, elles continuent malheureusement de s'effacer. En particulier, toutes les photos couleurs de la fin du siècle se sont beaucoup détériorées. Heureusement que j'avais tout numérisé à temps.
Certains de mes amis ont pratiquement perdu pour cette raison la quasi totalité de leurs photos d'enfance. Pour parvenir à de bonnes synthèses, j'ai dû modéliser cet univers d'une manière beaucoup plus profonde qu'une simple indexation.
Par exemple, j'ai reconstitué (avec l'aide d'outils ad hoc pour me faciliter la tâche) un modèle en trois dimensions de la Cognardière, en me servant des différentes photos, et d'un vieux plan d'architecte que j'avais retrouvé. J'ai construit aussi un modèle en trois dimensions de chacun des personnages, en m'aidant de modèles humains généraux que j'ai personnalisés à partir des photos comme à partir d'attributs connus par ailleurs (par exemple, dans des lettres disant que Tante Julia avait mal au foie, et se plaignait sur le tard de son obésité).
- Ainsi, l'image a tout absorbé, dans l'hypermonde? Il n'y a plus de place pour le texte, et encore moins pour les "données" des origines de l'informatique?
- Pas du tout. L'image est omni-présente, bien sûr. Mais le langage est toujours là. Et le texte est une forme d'image comme une autre, dans l'hypermonde.
- Tiens, j'aurais pensé que la télévision envahirait tout. Déjà, les enfants n'envoyaient plus de cartes de voeux à leur marraine pour le nouvel an, ils lui téléphonaient. Quant à l'orthographe... Dans le "bureau sans papier", les petits croquis remplaçaient les longs discours. Alors, le texte, vous croyez?
- Le texte garde une place majeure, car la richesse de ses structures et son aptitude à l'abstraction sont irremplaçables. Sa puissance d'évocation, à la fois visuelle et sonore comme ses racines culturelles sont profondes. Même si l'on parle de "mort de la littérature" prédite par Alvin Kernan en 1990.
L'hypermonde n'a fait qu'ouvrir au texte de nouveaux horizons : facilité de création et de modification, de stockage, de transmission. Dès l'école maternelle, des expériences ont montré la richesse de ses possibilités. Pour les enfants nés après 1978, le clavier est devenu un mode d'expression plus naturel et plus aisé que l'écriture manuscrite... bien que l'arrivée des ordinateurs plats à stylet (Penpoint) ait sérieusement restreint la plage d'efficacité du clavier.
Ce sont d'ailleurs les machines de l'hypermonde qui se sont chargées d'abord de vérifier puis d'appliquer les subtilités, souvent bien arbitraires, de l'orthographe française, qu'il a toujours été impossible de réformer. Depuis le début du XXIeme siècle, cela n'a plus d'importance. Les petits français n'ont plus à passer des heures à apprendre par coeur que chou, joujou, hibou... prennent un x au pluriel et non un s. Ils ont plus de temps pour apprendre des poèmes. L'hypermonde s'en charge. Heureusement, car ils ont besoin de tous leurs neurones pour maîtriser un monde de plus en plus complexe.
Dans l'hypermonde, nous lisons et nous écrivons encore. Non plus sur du papier, ni même toujours sur des écrans comme au XXeme siècle. Mais sur des objets nouveaux qui se perfectionnent encore. Des surfaces planes et "blanches" faites pour le texte. Au début, on s'est contenté de transposer: le livre est devenu électronique comme la "feuille de compte" des tableurs.
Mais depuis, on a trouvé mieux: mais impossible de le décrire à un lecteur des années 1990. L'image a envahi des domaines d'où elle était exclue. Programmer par le dessin? C'était l'exemple même d'une fausse piste: tout programmeur sait qu'il est plus facile et plus rapide d'écrire un programme que d'en dessiner l'organigramme. Tout au plus ce dessin traditionnel est-il utile comme support de la pensée à certaines phases du développement. Le progrès est venu du dépassement des graphismes traditionnellement "textuels", les lettres de l'aphabet. Celles-ci furent fixées, pour l'essentiel, quelques siècles avant notre ère, au Moyen-Orient.
Trois millénaires ont apporté quelques variantes: l'alphabet romain n'est pas l'alphabet grec, on a rajouté quelques lettres au français (comme le w) et des accents (dont on commence à se demander s'ils ne sont pas plus nuisibles qu'utiles, en particulier le circonflexe dont l'usage est des plus illogique, comme l'a montré Nina Catach.
Les alphabets ont leur loi: de même qu'il y a une loi de Miller, le 7 plus ou moins deux, pour le nombre d'objets directement perceptible par un humain, sans comptage ni outil externe, la longueur des alphabets s'est stabilisée depuis trois mille ans. Avec quelque 25 lettresplus ou moins 5. Les autres systèmes, cunéïformes et idéogrammes égyptiens ou chinois exigent un investissement intellectuel considérable qui les restreignent à une élite. Et il reste à prouver qu'ils contribuent vraiment au succès des Japonais. Bien des raisons permettent de penser qu'il s'agit bien au contraire d'un défaut de leur culture, qu'ils ne compensent que par un travail forcené.
Les mathématiques sont le seul domaine où l'on ait vu apparaître avec profit de nouveaux systèmes de signes au cours des siècles derniers. S'ils ont fortement contribué aux progrès de cette discipline, ces symboles étranges n'ont pas aidé le commun des citoyens à aimer les mathématiques. Les cartes de géographie comme la signalisation des lieux publics ont fait depuis le début du XXeme siècle un appel fécond à des jeux d'idéogrammes efficaces dans l'action, mais qui ne se sont pas intégrés aux autres domaines du discours et de la pensée.
Mais, à partir du XXIeme siècle, la généralisation de l'hypermonde a fait muter profondément la communication. La loi alphabétique était un optimum lié à la civilisation de l'écrit fixe, figé dans la pierre, puis le papyrus, puis le papier. Dans l'hypermonde, le graphique explose, semble occuper toute la place. Non pour remplacer le texte traditionnel, mais pour lui donner de nouvelles dimensions appuyées sur la dynamique. Le texte, devenu hypertexte, s'est métamorphosé en profondeur. Mais, cher visiteur du XXeme siècle qui avez ouvert mon livre, cet objet éminemment textuel, il m'est difficile de vous en dire plus.
Le musée, c'est la réunion dans un espace matériel spécialement dédié d'une collection d'objets réels, importants, significatifs. C'est donc un des lieux où j'accéderai physiquement quand je voudrai vérifier "de mes propres yeux", sinon toucher de mes mains, la correspondance entre l'hypermonde et le réel. Ou, estimant que les images que j'obtiens de ces objets trop imparfaites, j'irai en réaliser de nouvelles, plus précises, ou sous de nouveaux angles, pour poursuivre le développement de mon hypermonde.
Un des traits essentiels du musée est donc l'authenticité certifiée des objets qu'il renferme.
Dans un hypermonde bien dégagé du réel traditionnel, je ne recours à une telle visite que si c'est strictement indispensable, ou si j'en ai très envie, puisque tout déplacement physique coûte cher.
D'ailleurs l'accès aux originaux n'est pas encouragé, car il comporte des risques pour les objets: vol et détériorations principalement.
Pour éviter ces déplacement, le musée organise un ensemble de liaisons entre les objets réels et les réseaux de l'hypermonde, tout en préservant la possibilité d'un contact plus direct, qui devient rare relativement, mais reste fréquent en valeur absolue car le niveau de l'activité culturelle mondiale s'élève.
Une premier volet a consisté à entourer les objets de capteurs (principalement des caméras), permettant d'en communiquer à tout instant des images aux demandeurs. Cette solution a ses limites. On l'a complété par d'autres moyens, notamment un fonds intermédiaire de représentations des objets, une base de données accessible par l'hypermonde. Le rôle des conservateurs et des documentalistes est déormais, pour une large part, la création et le perfectionnement de ce fonds d'images intermédiaires, que nous appellerons base primaire. Il regroupe aussi bien les "dossiers documentaires", établis sur papier au XXème siècle, que les catalogues et documens audiovisuels classiques.
A partir de la base primaire s'organisent les différents réseaux et le musée y joue un rôle central d'animation et de gestion.
L'accès aux objets se fait normalement par l'intermédiaire d'un ensemble de représentations primaires qui se décompose en deux :
- une représentation digitalisée à haute définition, tri-dimensionnelle et en couleurs, des objets ;
- un ensemble important (plusieurs dizaines de milliers de signes par objet) de descripteurs de l'objet ; d'une part une reprise de données "internes" à l'objet, qui peuvent se déduire de son observation et de son analyse par différents moyens techniques, mais qui ne peuvent s'intégrer directement à sa représentation tri-dimensionnelle (poids, matériau et états chimiques, magnétisme, hygrométrie) ; d'autre part des références "externes" décrivant l'historique et l'environnement de l'objet (date et lieu de découverte, situation dans la fouille, situation dans les grandes modélisations (à commencer par l'époque et la fonction de l'objet) historique des opérations de transport et de conservation, situation juridique et commerciale, bibliographie et iconographie) ; enfin, système de numéros et mots clés facilitant l'accès à partir des réseaux.
Des raisons de coûts et de performances conduisent à établir des bases secondaires adaptées à des besoins particuliers (finesse de digitalisation réduite, vues plus adaptées à une présentation plaisante bi-dimensionnelle, sous-ensembles adaptés de descripteurs).
Cette séparation entre objet et représentation primaire s'est amorcée au XXeme siècle. Les objets les plus précieux ou les plus fragiles ont été mis au coffre et remplacés en vitrine par des moulages. Les chercheurs (terres cuite, lithique) travaillent dans une large mesure non pas sur des photographies mais sur des dessins, plus efficaces. Dès cette époque, le public connaissait les objets bien plus par les photographies qui circulent dans les médias que par la visite au musée ou à l'exposition.
L'écart s'est creusé, d'autant plus large que l'objet orginal est fragile et de grande valeur. La dame de Brassempouy est une très petite statue enfermée dans un coffre, alors que son image s'étale en grand format et en multiples exemplaires dans les couloirs du métro comme sur la couverture des magazines. Dans le même temps, les objets ordinaires sont peu visités, restent dans les réserves, voire sont acquis par des particuliers.
La base primaire est utilisée sur place, dans le musée même, pour améliorer sa visite, organiser les
parcours d'une salle à l'autre, commenter richement les objets d'une manière adaptée à chaque visiteut ou groupe de visiteur, sans pour autant encombrer les vitrines d'étiquettes et de panneaux disgracieux et détournant l'attention de l'essentiel. Mais la base est aussi le point de contact avec le musée de trois réseaux: chercheurs, enseignant/élèves, amateurs.
Le premier rôle des chercheurs est de trouver de nouveaux objets et de les placer dans un environnement spécifique (le musée) adapté à la double fonction de conservation sûre et de présentation.
Cependant cette activité voit son importance relative décroître constamment pour plusieurs raisons : d'une part la fouille est destructive, d'autre part l'objet isolé est moins significatif que son environnement et la réunion d'un grand nombre de données externes (en archéologie: stratigraphie, palynologie, etc.).
Les chercheurs consacrent donc l'essentiel de leur activité à l'enrichissement des bases de représentation primaires et à la modélisation. Fouille, stockage et digitalisation d'objets cèdent le pas au au développement des modèles, qui assurent leur évolution au moyen de "sondages" toujours plus discrets et moins destructifs sur les sites archéologiques.
On continue cependant, et indéfiniment, à enrichir les bases d'information. La constitution des grandes bases primaires a demandé plusieurs décennies. Puis on a trouvé que les premières représentations étaient imparfaites...
L'hypermonde relie en permanence des chercheurs nombreux et répartis sur la totalité de la planète. Les chantiers de fouille sont munis eux aussi de terminaux, et la communauté des chercheurs sera ainsi reliée en permanence aux recherches les plus nouvelles. Un des problèmes qu'il a fallu résoudre, pour ne pas freiner la recherche, a été la protection de la propriété intellectuelle.
L'appropriation de la culture, et donc des objets culturels fondamentaux conservés par les musée, est un des aspects majeurs de la socialisation des jeunes. La traditionnelle visite de musée, avec son caractère scolaire, rituel, un peu ennuyeux, a cédé la place à une relation plus riche et surtout active.
D'autres types d'activités ont été conçus pour les jeunes autour de la culture. Ils témoignent de l'importance qu'ils y attachent, même si les formes qui leur plaisent paraissent éloignées d'une certaine conception classique.
Notons d'abord le succès de films à contenu historico-mythique : La guerre du feu, Excalibur. La valeur scientifique limitée de ces réalisations a poussé les détenteurs du savoir scientifique, et donc les musées, à renforcer leur présence dans les médias en tous genres. Dieu merci, on a dépassé l'axiome "sérieux égale ennuyeux". Dans l'hypermonde, un des rôles important des musées est la conception et la diffusion de jeux de rôles appuyés sur leurs objets.
Le musée est devenu un serveur, aux prestations toujours plus riches, passionnantes, belles, à la fois authentiques et attractives pour les jeunes... et pour les adultes.
Le troisième réseau, et l'un des plus importants, est celui des adultes "amateurs d'art et d'histoire". La visite matérielle et la vue directe de l'objet dans sa vitrine n'a pas disparu. Mais elle n'est plus qu'un ancrage des activités culturelles de l'hypermonde.
Les prisons matérielles furent un progrès de l'humanité quand elles remplacèrent, à partir du XVIIeme siècle environ, les peines corporelles ou les mutilations, déshumanisantes pour le puni comme pour le bourreau et le spectateur (voir l'ouvrage d'Arlette Lebigre). Mais, dès les années 80, elles avaient atteint... leurs limites. Comment les dépasser? Sans apporter de solution miracle, l'hypermonde réduit l'absurdité ou le scandale de certaines situations.
La prison remplit trois fonctions:
- sécurité de la société en mettant hors d'état de nuire des individus dangereux;
- dissuasion par crainte de la sanction;
- re-socialisation du coupable: recyclage, rééducation, réinsertion.
Dans l'hypermonde, la communication entre humains, amicale ou agressive, n'est pas nécessairement liée à leur mouvements physiques. La criminalité, réelle ou potentielle, s'exerce dans un espace de symboles.
L'enfermement physique d'un individu est donc peu pertinent. Mais soyons plus concrets. Se déplacer physiquement est peu utile pour commettre des crimes. Les biens et activités importants sont désormais de caractère symbolique, scripturaire, on n'y accède pas spécialement aisément en entrant dans l'univers physique des propriétaires de donnés. La protection physique, n'a plus de sens que pour la violence physique, qui ne représente qu'une part relativement faible de la criminalité: viol sexuel ou violence sadique, ou extortion "à main armée" de biens informationnels ou culturels.
L'importance de l'information circulant autour des individus fait qu'en pratique on peut toujours savoir où ils sont. Il est donc (presque) toujours temps d'intervenir quand on pressent qu'un individu fait des déplacements physiques dangereux. En revanche, se met en place un système progressif de contention des individus dangereux au sein de l'hypermonde. Ce système s'inscrit dans l'architecture des réseaux de communication, avec leurs droits d'accès, etc.
Ce système consiste à réduire les droits d'accès des détenus aux différentes zones de l'hypermonde et à créer pour eux des espaces particuliers dans l'hypermonde, comportant une surveillance particulière, avec réduction appropriée des droits habituels à la vie privée; un hypertrou pour l'oeil du maton, en quelque sorte... Si nécessaire, l'individu porte un bracelet, ou, à la limite, un implant qui permet de le repérer plus facilement et plus sûrement. La surveillance atteint un degré bien supérieur à celui des prisons matérielles, puisqu'une des caractéristiques de l'hypermonde est la possibilité d'enregistrement et de duplication de toutes les opérations demandées par un individu. On peut alors pratiquer:
- une analyse a posteriori en partie automatisée des activités des détenus par un personnel approprié, avec repérage le cas échéant de tendances plus ou moins positives ou négatives,
- une analyse permanente des activités potentiellement dangereuses.
La contention physique ne subsiste que comme cas limite, pour les criminels violents comme pour les malades mentaux.
La prison fait peur, et non sans raison, surtout quand elle est surchargée et quand le personnel est insuffisant et mal formé. Mais elle ne faisait pas assez peur, au XXeme siècle, puisque la criminalité ne baissait guère! D'autre part, elle était inéquitablement appliquée, la peine étant parfois disproportionnée à la faute, notamment dans le cas de la prison préventive. De toutes façons, le caractère inhumain de certains situations carcérales, pour les geôliers comme pour les détenus, ne pouvait être justifié par la dissuasion, à partir du moment où l'on disposait d'autres procédés.
Outre les sanctions "positives" (travail au service de la communauté) déjà parfois pratiquées, les sanctions infligées dans l'hypermonde ne sont pas moins dissuasives, créant d'ailleurs dans les cas extrêmes une "hyperprison" qui pourrait être extrêmement pénible.
Les formes sont multiples. Les plus ordinaires vont de soi: la peine consiste en privation d'accès à une part plus ou moins grande de l'hypermonde intéressant. En termes plus concrets, on limite les revenus, les droits de créer des objets, et a fortiori l'accès par l'hypermonde aux ressources réelles sensibles.
Rassurons ceux qui craindraient un hypermonde trop douillet, trop faible face aux criminels: il n'est que trop facile, dans un hypermonde fortement implanté, d'envisager des contraintes voire des peines qui rendraient la vie des condamnés pire encore que celle des détenus d'hier. Il faut trouver le dosage le plus humain de la dureté de la peine entre l'effet préventif de dissuasion et le caractère choquant de toute peine volontairement infligée par un humain à un autre humain.
Sur ce point, on peut difficilement faire pire que la prison traditionnelle. Et l'hypermonde a beaucoup apporté. Il peut en effet:
- créer des espaces et des parcours pédagogiques spécialement adaptés,
- réguler la rentrée progressive dans les zones normales de l'hypermonde.
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