Manifeste de l'hypermonde (suite)

Pierre Berger: Plus de technologie dans un monde plus humain

Il ne suffit pas de "défendre" l'humain, comme on défendrait la langue française. Il faut l'illustrer. L'humain a besoin de croître.

Les limites matérielles de notre planète et de ses ressources ne sont que trop réelles, même si l'on a exagéré certaines menaces. Les espaces vierges se font rares, et en tous cas sont stériles et fragiles à la fois. En France seulement, est-il raisonnable de vouloir construire encore des centaines de kilomètres d'autoroutes tous les ans?

Quant à l'espace interplanétaire ou intergalactique, ne nous berçons pas d'illusions: faire échapper un homme à l'attraction terrestre coûte très cher, du point de vue financier aussi bien qu'écologique. Dans l'horizon prévisible, il reste impensable de faire décoller ne serait-ce qu'un million de personnes... or ce ne serait encore qu'un dix-millième de la population humaine. Pour l'immense majorité des humains, donc, l'avenir se jouera "sur le plancher des vaches".

Il ne suffit pas de défendre environnement, de s'interdire de polluer, pour conserver l'envie de vivre. L'expansion fait partie de la nature profonde de l'homme. "Croissez et multipliez vous, dominez la terre" . L'expansion est dans la nature d l'homme. Il faut croître ou mourir.

L'hypermonde, un véritable nouveau monde

Heureusement, les technologies électroniques nous ouvrent réellement de nouveaux horizons. Nous proposons le concept d'hypermonde pour les représenter globalement.

Aujourd'hui, comme le nouveau monde il y a 500 ans, nous n'avons ouvert que des têtes de pont isolées sur ce nouveau continent: tête de pont de la communication avec les médias audiovisuels, du calcul et de l'automatisme avec l'informatique, de la musique avec les multiples formes de disques...

Ces têtes de pont, peu à peu, se renforcent. la technologie de la "réalité virtuelle", lancée en 1984 par Jaron Lanier à la suite de travaux pour la Nasa, montre bien jusqu'où nous pouvons pénétrer dans ce nouveau monde, nous y immerger.

Ces têtes de pont, de plus, se rejoignent. Tous les médias, toutes les informatiques communiquent de mieux en mieux. Le progrès semble aux uns une véritable cataracte. D'autres, qui se rappellent des prévisions de Wiener ou d'Orwell, voire même de Jules verne, ont plutôt l'impression que l'évolution est bien lente à se concrétiser dans la vie quotidienne.

Mais la colonisation a vraiment commencé. Les paysages sont passionnants et les terres fécondes. Certes, pas plus que le nouveau monde américain, l'hypermonde n'est un paradis. Ni d'ailleurs un enfer. C'est un monde. Voilà tout. Ouvert à nos explorations, nos capacités de développement. Et c'est déjà beaucoup à l'heure actuelle.

Tout est à faire

Dans ce nouveau monde, qu'y a-t-il à construire? Presque tout encore. Mais souvent, surtout dans les phases transitoires, ces constructions pourront sembler abstraites. Comme le Canada faisait à Voltaire (je crois), figure de "quelques arpents de glaces". Elles prendront cependant peu à peu consistance.

Les infrastructures technologiques

Médias, informatique, réalité virtuelle... ne se développent qu'à base de circuits intégrés, calculateurs, capteurs et actionneurs. La loi de Moore et les techniques d'industrialisation nous en assurent la multiplication à un coût toujours plus bas. Il faut aussi des lignes de communication. Lourds investissements!

Les bases théoriques

Une "thermodynamique de l'immatériel", à peine esquissée par Shannon. Des mathématiques mieux adaptées à la complexité, au chaos, aux limites de la rationalité déductive (Gödel).

Une cosmologie puissante, situant notre voyage vers l'hypermonde dans la grande histoire du cosmos, depuis le big bang jusqu'à Gordon Moore.

Une épistémologie renouvelée. l'hypermonde est par essence cognitif, puisqu'immatériel. Ses perspectives sont, à proprement parler, "inimaginables", puisqu'elles font jouer à l'image un rôle tout à fait nouveau, dont le papier et les médias audiovisuels ne nous ont encore donné qu'une toute première idée.

Les principes économiques

L'hypermonde ne pourra pas se contenter indéfiniment des théories économiques classiques, de toutes façons à bout de souffle. La reproduction quasi-gratuite des images comme des logiciels, la délocalisation possible des activités de production comme de consommation exigent de nouveaux cadres, des modes de production, un droit de la propriété... à leur mesure.

La recherche de nouveaux marchés, la création des nouvelles entreprises ont besoin de fondements économétriques, juridiques et sociaux largement renouvelés.

Parmi les concepts importants, notons la normalisation et tout ce qui se décline autour de la "valeur ajoutée" (réseaux, services).

Prolonger notre culture, nos cultures

Nous ne débarquons pas dans l'hypermonde comme des enfants qui viennent de naître. Comme les passagers du Mayflower, nous apportons nos traditions, notre littérature, notre éthique, notre religion.

Déjà le cinéma a repris les grands thèmes littéraires, la télévision a repris le cinéma. Les jeux de rôle ont transposé toute la mythologie médiévale comme les grands affrontements militaires et géopolitiques du passé, voire les réalités profondes des structures politiques (SimCity, Civilisation).

Nous allons "évangéliser" l'hypermonde. Mais nous sommes divers, nous apportons nos différences idéologiques, religieuses. Il faudra de bons aménageurs pour que chacun trouve sa place.

Qu'allons-nous faire dans l'hypermonde? Qu'allons-nous faire de l'hypermonde?

Si la réponse était toute écrite, serait-il aussi passionnant de s'embarquer pour le voyage?

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