Manifeste de l'hypermonde (suite)

Claude Chiaramonti: Dieu devrait sous peu adhérer au Club de l'hypermonde, donc si vous voulez le rencontrer...

Depuis Platon, l'homme s'est souvent posé la question de savoir si que lui transmettaient ses sens existait réellement, indépendamment de lui, ou bien si tout n'était qu'ombres sur le mur de la caverne.

Et ce n'est pas la physique moderne qui a supprimé cette interrogation métaphysique ! Au contraire, p:uisque le réel, qui paraissait cerné dans l'infiniment petit, s'est dérobé au dernier moment, prétendant n'exister qu'en fonction de l'instrument de mesure.

Et certains scientifiques de se demander très sérieusement si le monde existerait sans l'homme pour le penser. Un peu comme les jeux de rôle qui n'existent que dans notre esprit, lorsque nous les parcourons.

Autrement dit, ne serions-nous pas entourés seulement d'un hypermonde? Examinons la question en scrutant le réel, depuis l'infiniment petit jusqu'au silence des espaces infinis.

Le moins que l'on puisse dire concernant la matière, c'est qu'en dernière analyse, elle est de plus en plus curieusement inconsistante. Ou alors il s'agit d'une "hyperconsistance", d'une existence virtuelle, à la fois onde et particule, ou plutôt faisceau d'ondes se matérialisant parfois en particule.

Diable ! Encore que le pauvre diable n'ait rien à voir là-dedans. Simplement, comme disait Einstein: "... sans être méchant, Dieu est parfois un peu compliqué...".

Quant à l'astrophysique, ce n'est guère mieux. Il y a du virtuel partout, des trous noirs aux ondes gravitationnelles (comment une onde sans masse peut-elle attirer ?) et de ce qu'il y avait avant le big bang à un infini en proie à des pulsations. L'univers soi-disant réel n'est au mieux que "conçu", cela a partir de signaux émis il y a des millions d'années, par des "apparences" situées à des millions d'années-lumière, et qui ont de plus sans doute disparu depuis.

Dans tout cela, quelle différence entre un radiotélescope et un casque ludique? Aucune, sinon que, de temps en temps, un astéroïde tome "réellement" sur la Terre, de même qu'au moins en probabilité, on peut faire des pronostics sur la conduite des particules.

Mais, même dans ce cas, tout finit par n'exister que sur un écran d'ordinateur, cette "étrange lucarne" ne faisant que refléter un univers abstrait, et qui n'est bien qu'une lointaine image virtuelle d'un soi-disant réel.

Alors, ne soyons pas étonnés par les jeunes et par leurs fuites dans leurs hypermondes à eux, depuis le Game boy jusqu'à Jurassic parc: nous sommes tous logés à la même enseigne. Et ils ne font, comme d'habitude et comme il se doit, que précéder les adultes encore un peu englués dans leur conception d'un monde ayant un sens, qu'il s'agisse d'ailleurs des scientistes ou de ceux qui croient à un Dieu ayant des vues sur nous.

Car, si Dieu il y a, et pourquoi ne pas appeler comme cela le fait qu'il y a indubitablement quelque chose, c'est un hyper-Dieu par rapport auquel nous sommes bien en peine de nous situer.

Ce que l'on peut craindre, en effet, c'est que notre pauvre intellect, développé à partir de notre cerveau reptilien, soit radicalement incapable de dépasser la petite logique utilitaire cause-effet de ses origines animales: supprimer l'ennemi et assurer le beefsteak ou le partenaire sexuel.

En réalité, tout ce qui est à comprendre de ce monde incompréhensible est là, étalé sous nos yeux, mais inconcevable pour nous. Comme le serait pour une fourni, selon l'image célèbre, un char romain l'écrasant en allant porter à Rome la nouvelle de la victoire sur les Gaulois.

Alors ? Alors rien ! Sinon qu'adhérer au Club de l'hypermonde est la seule attitude "réaliste", parce que c'est sans doute là, petit à petit, dans l'acceptation humble de notre cécité totale, qu'un jour nous passerons de l'état de fourmi écrasée à celui de conscience de l'Univers que nous revendiquons un peu vite aujourd'hui. Cela, peut-être en réussissant enfin à trouver le bon bouton sur le casque d'images virtuelles que nous portons déjà sur la tête sans le voir, et que nous avons jusqu'à maintenant affublé de noms de divers mystères, divins en général, pur ne pas nous sentir orphelins du Père.

Et ce jour là, au lieu d'imaginer Dieu à notre image, avec des petites idées humaines, trop humaines, de libre arbitre et autres anthropomorphismes, nous serons branchés sur, sur... ce qui est à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Club de l'hypermonde.

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