La Critique de la Raison Cynique

 

de Peter Sloterdikj

 

Commentaire de Eddie Soulier pour le Club de l’Hypermonde

(Au Père Tranquille, le 27 avril 2000)

 

 

Préface

 

« Notre époque est cynique » / « le temps actuel est cynique de toutes parts »

 

Thème de la conservation de soi, de la volonté de conservation de soi

 

L’époque des Lumières (Aufklärung)

 

La démission de la critique

 

« Que peut encore une critique ? »

 

La Théorie Critique (Adorno) se fait miroir de la méchanceté du monde, de la froideur bourgeoise, du principe de domination, de la combine et du profit qui la motive. Mais la TC a échoué : l’effet offensif du refus s’est depuis longtemps épuisé. La théorie d’Adorno a essayé de construire un savoir qui ne serait pas pouvoir, un monde de dénégation du viril, cherchant refuge dans le royaume des mères.

 

« La critique, dans tous les sens du terme, vit des jours maussades ».

 

Dans les grandes réalisations critiques de la modernité s’ouvrent partout des blessures, qui ont pour noms :

Rousseau

Schelling

Marx

Kierkegaard

Nietzche

Heidegger

Freud

Adorno

 

Toute critique est un travail de pionnier dans le mal du siècle ainsi qu’une partie de guérison exemplaire.

 

Cf. : une tentative de sauver l’Aufklärung et la Théorie Critique

 

Faire une analyse du cynisme

 

Les Lumières désignent ce grand courant politique et culturel qui, au XVIIIè siècle a défendu l’idée selon laquelle il était possible de faire sortir l’humanité de son état d’obscurité – dû à la misère, à l’oppression et à l’ignorance – grâce au progrès économique, à la liberté politique et à la raison (incarnée par la Science et l’Education).

 

L’esprit des Lumières se caractérise par une foi dans la possibilité d’améliorer la condition humaine par la science, la démocratie, la culture et l’éducation. Quant à la Critique, c’est l’essence de l’activité philosophique, qui consiste à remettre de l’ordre dans les choses en écartant ce qui est confus pour laisser émerger ce qui est clair et lumineux. (Dico de la philo)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE

 

  1. Cynisme : crépuscule de la fausse conscience

 

Convention : PS utilise les mots kunique et kunisme pour le cynisme au sens de la philosophie antique et cynique et cynisme pour l’utilisation moderne du terme.

 

« L’antiquité connaît le cynique comme un original solitaire et comme un moraliste provocateur et obstiné. Diogène dans son « tonneau » passe pour le patriarche de ce type ».

 

Aujourd’hui, le cynique se pose en type de masse, et pas seulement parce que la civilisation industrielle avancée produit le solitaire amer comme phénomène de masse (avant = phénomène local).

 

C’est l’anonymat urbain qui devient le grand espace de la déviation cynique = la figure du cynique du temps présent, le cynique moderne, urbanisé.

 

« Il en résulte notre première définition : le cynisme est la fausse conscience éclairée. C’est la conscience malheureuse modernisée, sur laquelle l’A a agi à la fois avec succès, et en pure perte » (p. 28).

Du point de vue logique, il s’agit d’un paradoxe ; en effet, comment une conscience éclairée pourrait-elle être encore une fausse conscience ? C’est exactement cela, qui est ici en question ó agir contre son intime conviction c’est aujourd’hui la situation globale de la superstructure [voire l’ouvrage de Christophe Dejours, prof au CNAM, sur « Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale »).

 

La formule « fausse conscience éclairée » doit être comprise comme un modèle de diagnostique. Ce qui implique une révision nécessaire de l’A., notamment son rapport avec ce que la tradition appelle « fausse conscience ».

 

L’intention historique de l’ouvrage serait, si c’était le but, de décrire la modernisation de la fausse conscience [dans sa version cynique]. Mais l’objectif est physionomique : il s’agit de décrire la structure d’une fausse conscience armée de ressorts réflexifs.

 

Ce dont il s’agit, ce sont les limites sociales et existentielles de l’Aufklärung. Contrainte de survie et désirs d’affirmation de soi ont humilié la conscience éclairée.

 

La formulation du siècle du cynique moderne : « Être idiot et avoir du travail » (Gottfried Benn). L’inversion de cette phrase : « Être intelligent et faire tout de même son travail, volà la conscience malheureuse sous la forme modernisée et malade d’A.

 

A 2000 marks nets par mois commence doucement la contre-Aufklärung ; elle mise sur le fait que tout homme qui a quelque chose à perdre s’arrange en privée avec sa conscience malheureuse ou la couvre par des « engagements ».

 

L’arrangement néo-cynique avec le donné a quelque chose de piteux, il n’a plus rien d’une nudité souveraine.

 

 

  1. Aufklärung comme dialogue

 

Parler du cynisme, c’est rappeler les limites de l’Aufklärung.

 

Face aux forces prodigieuses de la réaction, l’A est brisée par la résistance de puissances opposées. Donc, dès le départ :

 

« l’A. refoule consciemment le rude réalisme des doctrines plus anciennes de la sagesse, pour lesquelles il allait de soi que la masse n’a pas le sens commun et que la raison est l’apanage de quelques-uns. L’élitisme moderne est obligé de se cacher sous un code démocratique » (p. 34).

 

Avec les grands noms de la science (Watt, Pasteur, Koch, Siemens…) l’A pouvait croire avoir la loi du progrès de son côté. Mais depuis les atrocités techniques du XX ème siècle, de Verdun au goulag, d’Auschwitz à Hiroshima, l’expérience contredit totalement tous les optimismes : « Le Xxe siècle tardif flotte au gré des flots du futurisme négatif. On a compté avec le pire, il ne lui reste plus qu’à se produire » (sic).

 

Définition de l’Aufklärung

Qu’est-ce que l’A ? Elle est cette « doctrine » qui ne veut pas devoir son succès à une pression extérieur à la raison. L’un de ses pôles est la raison ; l’autre, le libre dialogue de ceux qui consacrent leurs efforts à la raison. Le noyau de sa méthode est le consensus volontaire.

 

L’A porte en elle une scène primitive utopique, une idylle de paix épistémologique, une belle vision académique : celle du libre dialogue entre hommes qui s’intéressent sans contrainte à la connaissance.

 

Le processus de l’A. présente donc deux faces : l’adhésion à la meilleure position et l’abandon de l’opinion antérieure. Ce qui implique une ambivalence des sentiments : gains et douleur (très fort).

 

Dans le fond, le dialogue de l’A. n’est rien d’autre qu’une lutte sociale des opinions. Que la réalité soit différente ne surprendra personne.

 

Depuis des temps primitifs, l’ancien a été pris pour le vrai, le nouveau pour le problématique. Il a fallut que l’A. bouscule cette sensibilité « primitive » de la vérité, avant que le nouveau ne pût nous sauter aux yeux comme vrai.

 

A côté de l’invitation au dialogue, l’A. a développé une deuxième attitude, une attitude combative. Lorsque l’on combat dans le champ des idées, l’adversaire est vu en tant que machine où est à l’œuvre un mécanisme de résistance qui le prive de sa liberté et provoque des erreurs et des illusions (objectivation de l’autre).

 

Donc, la critique de l’idéologie est la continuation polémique du dialogue avorté, par d’autres moyens.

 

La critique de l’idéologie : démasquer son intention (adversaire), c’est mettre en lumière le mécanisme de la fausse conscience et la conscience servile.

 

L’A. ne connaît que 2 raisons de fausseté : l’erreur et la malveillance.

 

Ainsi naît la série classique de la fausse conscience : mensonge, erreur, idéologie.

 

La critique de l’idéologie est l’héritière d’une grande tradition satirique qui aime démasquer, ridiculiser, mettre à nu.

 

Mais, et c’est la thèse du livre, la crique moderne de l’idéologie s’est funestement détachée des puissantes traditions du rire du savoir satirique qui plongent leurs racines philosophiques dans le kunisme antique.

 

La critique moderne s’est dépouillée de son essence critique pour conquérir sa place dans les livres comme « théorie ».

 

« La critique de l’idéologie, désormais sérieuse, imite par sa méthode, le procédé chirurgical : ouvrir le patient avec le scalpel de la critique, et opérer, en ayant soin de bien désinfecter. Au regard de tous, elle dissèque l’adversaire jusqu’à faire apparaître le mécanisme de son erreur ».

 

Les grands représentants de la (bonne critique), les moralistes français, les encyclopédistes, les socialistes, notamment Heine, Marx, Nietzsche, Freud, sont restés des marginaux de la république des lettres car chez eux, tout est à l’œuvre, une composante satirique, polémique, qu’on en peut guère dissimuler complètement derrière le masque du sérieux scientifique.

 

Ces signaux du non-sérieux sacré qui reste l’un des indices les plus sûrs de la vérité, nous voulons les utiliser comme poteaux-indicateurs de la critique de la raison cynique.

 

La fausse conscience apparaît en premier lieu comme une conscience malade. Il y a analogie entre idéologie et schizophrénie. Mais objectivement bien fondé, l’appui que la critique cherche auprès de la psychopathologie risque d’aliéner de plus en plus profondément les adversaires, elle réifie l’autre et le rend irréel.

 

La réification la plus dépourvue d’humour de toute conscience adverse est née de la critique de l’idéologie qui se rattache à Marx. Avec Marx, on passe du démasquage des « faiblesses humaines » à celle du processus politico-économique dans son ensemble.

 

Or, toute théorie sociologique du système qui traite la « vérité » d’une manière fonctionnaliste renferme un puissant potentiel cynique.

 

  1. Les huits démasquages, revue de la critique

 

PS identifie 8 cas de critiques de l’idéologie et de critique démasquante. Ce sont les figures de démasquage qui ont eu le plus de succès dans l’histoire. Comme il le dit, « acculées à la défensive, les hégémonies sociales qui veulent se perpétuer se montrent capables d’apprendre. Une histoire de l’A. doit prêter attention aux processus d’apprentissage des hégémonies qui se défendent.

 

Il examine les schémas opérationnels utilisés par l’A. dans sa critique.

 

3.1  Critique de la révélation

 

Dans la civilisation chrétienne, c’est grâce à la croyance que la Bible est de nature révélée, que celle-ci devient le livre sacré, en tant que texte plongeant sa racine dans l’absolu. Comme le dit PS, « au commencement de la théologie, il y a une écriture automatique.

 

Or, l’A veut exactement savoir ce qu’il en est de cette prétention. Naïve et subversive, elle recherche des preuves, les sources, les témoignages. La plupart des Aufklärers concourt au démasquage de la prétention à la révélation.

 

3.2  Critique de l’illusion religieuse

 

Cf. Théorie du démasquage/théorie de l’imposture = critique de l’idéologie

 

La technique de l’A. pour démasquer l’illusion religieuse consiste à considérer que si Dieu créa l’homme à son image (Genèse), l’inversion du texte biblique permet de considérer que le regard religieux projette des représentations terrestres dans le ciel (anthropomorphisme religieux). (1ère stratégie subversive : Cf. = le démasquage anthropologique des projections faites sur Dieu). Les projections élémentaires sont les suivantes :

 

-         représentation de la famille et de la procréation : romans familiaux compliqués et histoires sexuelles frivoles dans les religions polythéistes (grecs, égyptiens, indous) et doctrine de la Trinité dans le christianisme.

-         Statut d’auteur (créateur) accordé aux dieux supérieurs et aux dieux uniques (métaphore de la production)

-         Projection du Secours, les hommes demandant secours dans la détresse de la vie. A l’image des rois, les dieux exercent leur autorité et responsabilité sous la forme d’une souveraineté sectorielle (vent, pluie, fécondité…) ou universelle sur le monde créé.

 

L’anthropomorphisme et sociomorphisme se manifestent également dans leur grande naïveté lorsqu’on a essayé de représenter Dieu par une image.

 

En découvrant les mécanismes de la projection, la critique de la religion a mis une arme efficace entre les mains du mouvement de l’A.

 

Seconde stratégie subversive : la théorie de l’imposture cléricale.

Traduit une première instrumentalisation de la religion en demandant : qui sert la religion ? Or, il était facile par un simple regard en arrière sur mille ans de politique religieuse chrétienne depuis Charlemagne jusqu’à Richelieu de voir que celle-ci s’inscrit dans les traces de sang de la violence (D’où la demande de pardon du Pape).

 

PS pense que le centre de cristallisation du cynisme réflexif moderne apparaît dans la question de la fonction et de l’utilisation de la religion. C’est le même mécanisme qui sera utilisé dans la critique de l’idéologie (par Marx notamment). A quoi sert la religion ? A vaincre la peur de vivre et à légitimer des régimes sociaux répressifs, repond l’A.

 

Cf. Pour PS., la théorie religieuse de l’A. constitue la première construction logique du cynisme moderne et réflexif des maîtres.

 

Le coût « psychologique » de la théorie de l’imposture de l’A. est le suivant : en traçant le portrait de l’adversaire clérical comme celui d’un imposteur subtil et lucide, l’A. surpasse l’imposteur en re-pensant la manœuvre de celui-ci et en la présentant par son démasquage. Si le prêtre ou le prince trompeur est un cerveau subtil, c’est-à-dire un cynique moderne de la classe des maîtres, l’Aufklärer est, par rapport à lui, un méta-cynique, un ironiste, un satirique. Dans ce climat, l’Aufklärung conduit à s’entraîner à la méfiance, ayant pour but de surpasser la tromperie par la suspicion. Pratiquement tous le livre est sur ce mode de dépassement critique, proche de l’analyse Déridienne de la déconstruction.

 

3.3  Critique de l’apparence métaphysique

 

Dans la critique de la métaphysique, le schéma est proche du précédent. L’idée est de dire que la raison est certes capable de poser des questions métaphysiques (sur Dieu, l’âme, l’univers) mais non de les trancher d’une manière fondée de par sa propre force. L’exploit de l’Aufklarung kantienne est d’avoir montrer que la raison ne fonctionne de façon sûre que dans les conditions de la connaissances empiriques, autrement dit, orienté vers la physique. Les propositions fécondes et fondées ne sont plus possibles sur des objets au-delà de l’expérience. Les idées métaphysiques principales ne peuvent être traitées d’une façon concluante avec les moyens que fournit la pensée.

 

L’une des conséquences du partage des eaux kantien est que, positivement, le savoir n’est que le savoir de la limite du savoir. Toutes les alternatives métaphysiques sont équivalentes et indécidables : déterminisme contre indéterminisme, fini contre infini, existence de Dieu contre non – existence de Dieu, idéalisme contre matérialiste .

 

Le même mécanisme est toujours à l’œuvre : l’A pratique un travail inéluctable de dissolution critique des images du monde et de soi-même, dont le coût psychologique et civilisationnel n’est pas pensé.

 

Les positivistes logiques de la première heure (Wittgenstein, Carnap…) jusqu’aux courants actuels analytiques anglo-saxon radicalisent la distinction entre les problèmes légitimes et les problèmes illégitimes (métaphysiques).

 

3.4  Critique de la superstructure idéaliste

 

Le représentant émérite de ce type de critique est Marx lui-même. Sur ce point, sa doctrine consiste à dire que « ce qui est dans les têtes » est déterminé « en dernière instance » par la fonction sociale des têtes dans la structure sociale. Aussi, la critique socio-économique a-t-elle peu de respect pour ce que les consciences disent d’elles-mêmes.

 

Comme pour les autres critiques, le geste typique de démasquage de la critique marxiste est-il le renversement : remettre sur ses pieds la conscience qui marche sur la tête. Par pieds, il faut comprendre ici la connaissance de la position dans le processus de production et dans la structure sociale : les idées, désires, aspirations, goûts, etc. ne sont jamais des expériences spirituelles individuelles et autonomes mais sont totalement déterminés par la position de classe.

 

Le marxisme va jusqu’à proposer une théorie du « masque de caractère » : dans la société bourgeoise capitaliste, il faut toujours faire une distinction a priori entre les personnes en tant qu’individu et les personnes en tant que représentants de différentes fonctions sociales.

 

Les Hommes ne sont humains que comme masques individuels d’une inhumanité sociale. De plus, ici, l’A. prolétarienne bondit d’une transformation théorique à une transformation pratique. Dans le modèle de Marx, l’A. est censé s’accomplir pratiquement, comme dépassement de la société divisée en classe.

 

C’est à ce niveau qu’apparaît la dimension cynique de l’A. marxiste : d’une part, elle réifie toute conscience en en faisant une fonction du processus social ; d’autre part, elle veut rendre possible la libération de la conscience de toute mystification. D’un côté donc, une ouverture « humaniste » qui ouvre l’option d’une auto-libération/émancipation des « esclaves » prolétaires au profit de l’émancipation de tous. De l’autre, un point de départ réaliste et anti-humaniste : l’accent n’est pas mis sur la dialectique de la libération mais sur les mécanismes de la mystification universelle. Dans ce second aspect, on est en plein dans le fonctionnalisme caché de la théorie marxiste qui considère de toute manière la fausse conscience comme inhérente au processus historique tant que le processus est en cours.

 

C’est dans la politique culturelle et dans le dressage moral du travail et du militarisme des pays socialistes que le cynisme fonctionnel de la doctrine marxiste de l’idéologie apparaît avec une netteté terrifiante.

 

3.5  Critique de l’apparence morale

 

= ce qu’il y a derrière la morale affichée (voir la pensée unique aujourd’hui et le politically correctness).

 

Dans la question morale se décide la question la plus profonde de toute l’A. : celle de la « bonne vie ».

 

Le mécanisme majeur qui travaille déjà dans la Bible est celui de « la paille et la poutre dans l’œil ». La critique de la morale procède d’une façon méta-morale : ici, psychologiquement. Elle compte déjà par principe sur le fait que l’apparence morale « extérieure » est trompeuse. Le moraliste ne sert par la loi mais dissimule le plus souvent sa propre anarchie en critiquant les autres. La métaphore de la paille et de la poutre contient déjà la psychanalyse in nuce : « ce qui me dérange chez les autres, c’est moi ». Ce que Jésus enseigne dans cette parabole, c’est une réflexion révolutionnaire sur soi-même : il faut commencer par soi-même si l’on veut éclairer les autres. De fait, l’éthique chrétienne de la réflexion (le retour sur soi-même dans tous les jugements) est assez explosive.

 

Proche en cela du communisme primitif, la communauté chrétienne ne peut être composée que d’individualités éveillées. Dans le christianisme primitive, la structure morale considère que l’auto-réflexivité est supérieur aux conventions et aux hiérarchies externes.

 

Or, dans son développement, le christianisme deviendra rapidement une organisation de coercition conventionnelle. Il retombe dans le point de vue banal du « tu dois ».

 

La réaction populaire au cynisme morale du clergé est connue : le moine lubrique, le prince d’Eglise belliciste, le cardinal cynique et le pape corrompu sont des personnages stéréotypés du réalisme populaire. Aucune critique théorique n’est arrivée à ajouter quelque chose d’essentiel à cette approche satirique. C’est la raison pour laquelle, le catholicisme se contentant d’une satire de l’ecclésiastique, le protestantisme a dû conduire la critique morale dans ses derniers retranchements.

 

La différence est majeure entre l’A. romano-chrétienne et l’A. germano-protestante, et notamment sur ce point précis : dans le catholisme, le problème moral est principalement pris en charge et réservé au clergé. Dans les pays protestants, au contraire, la critique de la morale vise nécessairement des sociétés et des classes entières. C’est ce qui explique que dans les pays comme l’Allemagne et l’Amérique, l’A. moral n’est pas pensable sans une composante socio-masochiste.

 

La critique de la morale suite essentiellement trois stratégies :

 

-         révéler un second niveau de règles (morale double)

C’est simple, il suffit d’observer tranquillement le loup derrière le mouton, il y en a de partout !!! Autrement dit, le savoir mondain reconnaît le monde moral comme composé de deux mondes : une image réaliste du monde pour les hommes pratiques qui doivent avoir le courage de salir les mains dans la vraie vie et une seconde image pour les jeunes, les imbéciles, les femmes et les belles âmes.

 

-         inverser l’être et le paraître

En renversant l’être et le paraître, la critique sépare d’abord la façade de l’intérieur, pour ensuite attaquer celui-ci comme l’extérieur vrai. Autrement dit, l’ « intérieur » ne reste pas caché : dans tout altruisme apparaît un égoïsme. La morale bourgeoise veut garder une apparence altruiste, tandis que le reste de la pensée bourgeoise compte depuis longtemps avec un égocentrisme tant théorique qu’économique.

 

-         réduire la morale à un motif réaliste primordial

La troisième stratégie découvre un premier motif. Les moralistes français l’appelaient amour-propre, Nietzsche volonté de puissance, le marxisme recherche du profit, pour la psychanalyse, cela sera les pulsions du moi et les pulsions sexuelles.

 

La critique de la morale des Aufklärer est une critique de la morale des dominants ó c’est là que la critique morale montre sa pointe politique : haine des tyrans, démasquage de la corruption, etc.

 

 

3.6  Critique de la transparence

 

Sous ce titre, PS pense essentiellement à la découverte de l’inconscient, laquelle est une conséquence nécessaire du processus moderne de l’A. Selon PS, la « découverte de l’inconscient » n’est pas celle de Freud mais date de bien avant : du dernier tiers du XVIIIème siècle, 3 ans après la Critique de la Raison pure de Kant avec la découverte par un français du sommeil magnétique (marquis Armand de Chastenet du Puységur, disciple de Mesmer). Les débuts de l’hypnose.

 

L’hypnose a été refoulée par l’A. car l’A. est une forme d’affirmation de soi et de contrôle de la réalité. Or, avec l’hypnose, le patient oubliait complètement ce qu’il avait vécu.

 

Cf. Depuis la fin du XVIIIème siècle, l’illusion de la conscience transparente que l’homme a de lui-même est détruite systématiquement. Les manifestations somnanbuliques prouvent d’une façon provoquante que la conscience ne sait pas tout d’elle-même.

Le malaise et la peur de la folie sont deux thèmes, notamment romantiques.

 

Fait partie des trois blessures de l’amour-propre humain :

 

-         avec la révolution copernicienne, la terre n’est plus le centre de l’univers

-         avec la doctrine darwinienne de l’origine des espèces, l’homme descend du singe

-         avec la psychanalyse, le moi ne se connaît pas lui-même.

 

« Derrière tous cela, il y a la défense désespérée de la transparence de la conscience, c’est-à-dire de la prétention du moi de se connaître lui-même mieux et d’être maître des règles qui président aux manifestations de sa propre raison » v. par exemple le succès actuel de la pensée positive (PNL…).

 

L’impact de cette défense dans la société américaine par exemple est devenu un jeu de société. PS l’appelle « cette forme sportive chronique de l’analyse de soi-même et des autres mènent à un ensemble d’attitudes erronées et infantiles.

 

PS va jusqu’à dire que le développement sans précédent des disciplines (toutes les sciences humaines et sociales yc psycho cognitive…) qui traitent de structures inconscientes dans l’ordre humain dépasse de loin tout ce qui les religions universelles n’avaient guère été capables de traiter abstraction faite des grandes écoles méditatives comme le bouddhisme, le zen, le soufisme, le tantrisme, le yoga et autres.

 

3.7  Critique de l’apparence naturelle

 

Pour l’A., c’est toujours le deuxième regard qui décide en surmontant la première impression. Si, en général, les choses étaient ce qu’on aperçoit d’elles d’abord, toute étude et toute science serait nécessairement superflues. Or, la science et l’A. se conduisent en détective envers la réalité.

 

Le donné, est toujours artificiel. La vie humaine se meut dans une artificialité naturelle et dans une naturalité artificielle. Cette attitude de l’A. montre que l’homme, tel qu’il est, mène une vie « non naturelle ». Ce qui chez lui était nature s’est « perdu », et a été « défiguré » et « déformé » par la civilisation. Cette idée est maintenant totalement acquise. Mais au commencement de cette découverte, l’idée de « non-naturalité » avait une énorme valeur offensive morale. Dans la critique rousseauiste de l’homme social on aperçoit la conséquence de cette découverte de la non-naturalité.

 

Rousseau a diagnostiqué dans la société du XVIIIème siècle une dégénération totale, un homme complètement séparé de la « nature ». Toute spontanéïté est dénaturé par la convention, toute naïveté est remplacée par la subtilité, etc. = mythe du bon sauvage et de l’enfant. L’autre existe ; il est en même temps le meilleur (voir la littérature ethno). Les enfants dans l’esprit bourgeois A. sont devenu les porteurs de l’espérance bourgeoise d’un « autre monde », d’une société plus humaine.

 

Dans la doctrine rousseauiste apparaît l’idée peut-être la plus importante de l’A. morale et politique : la théorie de la victime innocente : le fou, le criminel, l’asocial, etc. ne sont pas par nature tels qu’on les trouve maintenant, mais ils ont été faits ainsi par la société (v. victimisation américaine). Ils sont victimes de la société ;+> la prétendue nature selon le positivisme politique est, en vérité, une nature falsifiée : repression de la possibilité humaine (fondement des politiques dites de « gauches »). (naturalisme optimiste des gauches).

 

On voit bien comment le thème de la nature clive les parties politiques : schéma de la victime et de l’assistante sociale, schéma d’une nature non-hydillique dans les droites conservatrices, etc. Rôle actuel des victimes de la société : SDF, alcooliques, marginaux, …

 

3.8  Critique de l’apparence privée

 

La dernière grande attaque de la critique contre l’illusion vise la position du moi entre la nature et la société. Il s’agit là d’une critique de l’égoïsme, au sens du moi, du caractère, etc. La réponse est que le moi est le résultat de programmation. Il se forme dans les dressages émotionnels, pratiques, moraux et politiques. « Au commencement était l’éducation ».

 

Cela se passe en 2 étapes : la perception naïve et la réflexion. Dans la perception naïve, l’individu comprend son activité interne et ses aptitudes comme ce qui lui est propre. La conscience dit : cela c’est moi. C’est bien moi ça ! Voilà mon sentiment. Voilà ce que je pense, voilà ma conception. Je suis tel que je suis. Dans l’étape réflexive, la conscience de soi se rend compte : ainsi sont mes programmations, mes dressages, ainsi j’ai été élevée, ainsi je suis devenu, ainsi fonctionne mes mécanismes.

 

Comme le dit PS, « l’établissement de l’intériorité et l’engendrement de l’apparence privée sont les sujets les plus subversives de l’A. ».

 

Le point de résistance maximum porte sur la notion d’identité (personnelle, professionnelle, nationale, politique, féminine, de classe, ethnique, etc.). On ne parlerait pas tant d’identité s’il ne s’agissait au fond de la forme fixe du moi.

 

L’établissement de l’intériorité implique un moi porteur de l’éthique, de l’érotisme, de l’esthétique et de la politique. C’est d’abord dans ces 4 dimensions qu’on me donne, sans « me » demander mon accord, tout ce que je vivrais comme mien : les normes de mon comportement, ma déontologie, mes modèles sexuels, mon mode d’expérience sensible-émotionnelle, mon « identité » de classe, mon intérêt politique.

 

Mais dans tous les cas, le schéma de la critique serait le même : examen des programmations collectives et des auto-programmations. Tous, nous passons par des années d’apprentissage de l’intériorité (sexuelle, politique, etc.). Ce qui semble nature, se révèle être, à regarder de près, être un code.

 

Le désir « d’identité » semble être la plus profonde des programmations inconscientes, tellement cachée que pendant longtemps elle échappe même à la réflexion attentive. En quelque sorte, un « quelqu’un » formel est programmé en nous comme porteur de nos identifications sociales.

 

  1. Après les démasquages : pénombre cynique, Esquisses de l’auto-démenti de la morale de l’Aufklärung

 

Après les huit percées de l’Aufklärung réflexive, comme le dit PS lui-même : « Il n’y a plus rien qui tient ! ». Ses actions s’additionnent pour composer le complexe d’une modernité où la vie se sait livrée à un continuum de la crise.

 

4.1  Mise en échec de l’A par l’A

 

L’A. est un succès mais se dissout en une profusion d’écoles et de fractions. Au fond, il n’y a pas de mouvement unitaire et univoque de l’A. La dialectique de l’A. se caractérise par son incapacité permanente à former un front d’un seul tenant ; au contraire, elle est devenue précocement pour ainsi dire son propre adversaire.

 

D’autre part, l’A. se brise contre la résistance de puissances opposées (hégémonie, tradition, préjugé). Les hégémonies inventent la notion de violence contre les idées  et donc de censure. Au moment où des hommes deviennent assez mûrs pour connaître la vérité sur eux-mêmes et sur leur condition sociale, les détenteurs du pouvoir ont depuis toujours essayé de casser les miroirs révélant aux hommes qui ils étaient.

 

Mais avant de pouvoir la censurer, il faut que l’Etat connaisse la vérité. C’est l’ère des princes éclairés (comme Frédéric II de Prusse). Bismarck sera une seconde figure du cynisme.

 

L’A. vit son brisement principal contre le cynisme politique des hégémonies. Car savoir, c’est pouvoir, et le pouvoir, contraint à combattre, conduit à la division du savoir, en savoir viable et savoir non viable.

 

4.2  Brisure de l’A

 

A côté de ce brisement principal de l’A. contre la politique d’anti-réflexion des hégémonies, on observe d’autres brisements.

 

4.2.1        Le brisement du temps

 

L’A. est un processus, une forme d’évolution qui consomme le temps des individus et des institutions. Métaphoriquement, il y a succession de la maturation, de la réflexion, de l’exercice et de l’illumination.

 

Etc. pas très intéressant, ce passage, ni après.

 

4.2.2        La brisure des partis

4.2.3        La brisure des secteurs

4.2.4        La brisure des intelligences

 

4.3  On enfonce des portes à moitié ouvertes

 

En dépit de toutes les brisures, l’A. a libéré au cours de son évolution un puissant potentiel de réflexion. En même temps, cette diffusion élève le cynisme du savoir du pouvoir. D’où la thèse de départ : le malaise dans la civilisation apparaît aujourd’hui comme un cynisme diffus universel.

 

Derrière la crise de l’Aufklärung, il n’y a pas seulement une crise des Aufklärer, il y a même et enfin une crise de la pratique de l’Aufklärung, de l’engagement de l’Aufklärung. Qui ne reconnaît ce sentiment qu’il éprouve à l’égard de ce qu’il est convenu d’appeler « mouvements alternatifs » ?

 

Cf. voilà la situation : l’ « engagé » de l’Aufklärung enfonce des portes qui ne sont pas réellement ouvertes, c’est vrai, mais qui n’ont pas besoin d’être enfoncées.

 

Les derniers lieutenants de la critique de l’idéologie sont des farceurs inspirés comme Coluche, chez qui on trouve peu de sociologie mais beaucoup de présence d’esprit.

 

Autre exemple, la désagrégation du mouvement estudiantin au début des années 80. Elle traduit une métamorphose complexe de l’espoir en réalisme, de la révolte en mélancolie avisée, d’un grand Non politique en un multiple petit Oui sub-politique, etc.

 

De ce point de vue, Weimar est le miroir de l’époque temporellement la plus proche de nous dans lequel nous pouvons nous regarder.

 

 

4.4  Elégie marxiste : Althusser et la « coupure » dans Marx

 

Le second grand facteur de son auto-démenti c’est la déception due au marxisme. Une grande partie de la pénombre cynique actuelle a son origine dans l’expérience du destin des mouvements marxistes « orthodoxes » comme le léninisme, le stalinisme, le Vietcong, le castrisme et le mouvement des Khmers rouges. Dans le marxisme, nous assistons à l’effondrement de ce que « l’être-autre raisonnable » promettait de devenir.

 

Dans l’œuvre de Marx, la coupure n’est pas entre une période « idéologique » et une période « scientifique », comme le réclame la théorie de la coupure de Althusser, mais entre deux modalités de réflexion : une réflexion kunico-réflexive, humaniste et émancipatrice et une réflexion objectiviste conforme au cynisme des maîtres, réflexion qui raille l’aspiration des autres à la liberté dans le style d’une critique fonctionnaliste de l’idéologie.

 

4.5  Le sentiment vital dans la pénombre (atmosphère bullshit des années 80)

 

Dans ce chapitre, PS traduit bien ce que j’appelerais l’atmosphère des années 80. Personne ne savait, du dedans, comment tout doit continuer. Nous sommes plongés dans la lumière crépusculaire d’une désorientation existentielle singulière. En allant travailler, on fredonne : « N’attends pas de jours meilleurs » ou « il y a des jours où j’aimerais être mon chien ». Dans les cafés de coopératives, le soir, le regard effleure des affiches qui annoncent : « l’avenir est annulé pour manque de participation ». A côté est marqué : « Nous somme les gens contre qui nos parents nous ont toujours mis en garde ».

 

« On fait son travail et on se dit qu’il vaudrait mieux s’y engager complètement. On vie au jour le jour, de vacances à vacances, de journal télévisé à journal télévisé, de problème à problème, d’orgasme à orgasme, dans des turbulences privées et des histoires à moyen terme.

 

QUE FAIRE A PRESENT ? PS montre alors que la source de l’Aufklärung qui renferme le secret de sa vitalité est l’INSOLENCE.

 

 

  1. « A la recherche de l’insolence perdue »

 

5.1  La philosophie grecque de l’insolence. Le kunisme

 

Le kunisme antique, au moins à son origine grecque, est par principe insolent. Dans le kynismos, on a découvert une façon d’argumenter, dont la pensée sérieuse jusqu’à nos jours n’a su rien faire.

 

Selon PS, l’entrée en scène de Diogène marque dans la naissance de la philosophie européenne à ses débuts le moment le plus dramatique. Alors que, à partir de Platon, la « haute théorie » s’engage dans une théorie de la connaissance, émerge une variante subversive de basse théorie. Le processus de vérité se divise en une phalange de la Grande théorie discursive et une troupe de batailleurs satirico-littéraire.

 

Avec Diogène commence dans la philosophie européenne la résistance contre le coup monté du « discours ».

 

Que ce soit une « théorie » sous forme de monologue ou une « théorie » sous forme de dialogue, Diogène flaire la duperie des abstractions idéalistes. Aussi crée-t-il, lui, dernier sophiste archaïque et premier dans la tradition de la résistance satirique, une Aufklärung frustre.

 

Dans une civilisation où des idéalismes endurcis font du mensonge la forme de vie, le processus de vérité dépend de l’existence de gens suffisamment agressifs et libres pour dire la vérité.

 

Cf. Et si les puissants commencent à penser kuniquement, quand il savent la vérité sur eux-mêmes et « persistent » quand même, ils remplissent parfaitement la définition moderne du cynique.

 

Le kunisme grec découvre le corps animal de l’homme et ses gestes comme arguments. Il développe un matérialisme de pantonimie.

 

5.2  Pisser contre le vent idéaliste

 

L’insolence basse du kunique est grave. Le kunique grec pète, chie, pisse, se masturbe sur la place publique, devant les yeux de tout le monde sur le marché d’Athènes ; il méprise la gloire, se moque de l’architecture, ne respecte rien ni personne, parodie les histoires des dieux et des héros, mange de la viande et des légumes crus, dort au soleil, plaisante avec les filles de joies, insulte les rois.

Cf. Gainsbourg

 

La philosophie kunique a la sagesse d’une philosophie originaire, le réalisme de l’attitude matérialiste fondamentale et la sérénité d’une religiosité ironique. Diogène est un esprit souverain.

 

Le matérialisme « sale » ne répond pas seulement à un idéalisme excessif de la puissance, qui sous-estime les droits du concret. Chez le kunique, les animalités font partie de son auto-stylisation, mais elles sont également une forme de l’argumentation. Leur noyau est existentialisme, écriture du corps.

 

Porter sur la place publique ce qu’il y a de bas, de séparé, de privé, voilà la subversion. En même temps, c’est bien également la stratégie culturelle de la bourgeoisie qui rend, depuis 200 ans, dans un mouvement permanent, public le privé, le monde de l’amour, des sentiments, du corps et de l’intériorité avec toutes ses complications sensuelles et morales. Les expériences sexuelles y jouent un rôle clé parce qu’en elles, la dialectique de la séparation privé et du retour public s’impose avec une force exemplaire.

 

La civilisation bourgeoise, réaliste dans sa nature, ne peut pas faire autrement que reprendre le fil de la révolution culturelle kunique. Le parallélisme entre le kunique antique et le mouvement moderne hippie et alternatif est évident.

 

Depuis le kunisme antique, les différentes philosophies ne font que dissoudre un peu plus la règle de l’incarnation (corporelle è voir VARELA sur ce point).

 

 

5.3  néo-kunisme bourgeois : les arts

 

Que le désir d’incarnation sensible n’est pas sombré complètement, on le doit essentiellement à l’art bourgeois. Quand le bourgeois dit « nature, génie, vérité, vie, expression, etc. », alors l’impulsion kunique est en jeu.

 

On peut en déduire que dans une civilisation équilibrée d’une façon sensualiste l’art deviendrait dans son ensemble « moins nécessaire », moins pathétique et moins chargé de motifs philosophique.

 

5.4  Le kunisme comme insolence qui a changé de côté

 

L’insolence à partir de la position base est efficace si, dans son attaque, elle exprime des énergies réelles. Dans ce cas seulement, on peut la combattre mais pas la nier.

 

Le kunisme antique, kunisme primaire et agressif, était une antithèse plébéienne à l’idéalisme.

 

5.5  Théorie de l’agent double

 

PS propose une théorie d’une sorte particulière de gens : les agents secrets. La psychologie de l’agent, en particulier de l’agent double, serait le chapitre le plus important de la psychologie politique actuelle. En effet, l’appartenance multiple de l’intelligentzia caractérise la modernité.

 

5.6  Histoire sociale de l’insolence

 

La thèse de PS est que depuis l’antiquité, le rôle de la ville dans la naissance de la conscience satirique est incontesté. (carnaval…). Ainsi, du point de vue de l’insolence, Berlin est un prototype de la ville kunique. A côté de la ville, il y a 3 autres matrices de l’indocilité : le carnaval, les universités et la bohème. Ce sont des dispositifs de soupape.

 

5.7  Incarnation ou scission

 

Est incarné ce qui veut vivre.

 

5.8  Psychopolitique de la société schizoïde

 

La Première Guerre Mondiale est la date du tournant du cynisme moderne. « Ce qu’on appelle démocratie, c’est psychologiquement une croissance des contrôles de soi, ce qui est sans doute une nécessité pour des populations parquées » (en retrouve le sulfureux Nietsche).

 

5.9  Bonheur effronté

 

5.10                     Méditation sur la bombe

 

 

SECONDE PARTIE

 

I.                    Partie physionomie (le langage du corps/sans parole)

 

A.     Sur la psychosomatique de l’esprit du temps

 

Une physionomique philosophique suit l’idée d’un second langage sans paroles. Celui-ci est aussi vieux que la communication humaine ; plus encore, il plonge ses racines jusque dans le préhumain et dans le prérationnel, dans la sphère du flair et de l’orientation animale.

 

Les choses aussi ont plein de choses à nous dire : « le monde est plein de formes ». « Dans ce champ physionomique, tous les sens sont étroitement enchevètrés, et celui qui est parvenu à garder intact ses compétences de perception possède une contrepoids efficace contre la dévastation des sens, qui est le prix à payer de notre progrès civilisateur.

 

Prône un retour au sens physionomique qui fournit une clé de tout ce que révèle la proximité de l’environnement. (plutôt que abstraction croissante)

 

Il offre un savoir des choses qui n’est pas objectif mais conviviale.= le feeling

 

L’A. qui tend vers la réification et l’objectivation du savoir, fait taire le monde de la physionomie.

 

L’objectivité est obtenue au prix de la perte de la proximité.

 

Au cours des siècles, la science moderne a éliminé tout ce qui est incompatible avec l’a priori de la distance objectivisante et de la domination spirituelle sur l’objet : l’intuition, l’empathie, l’esprit de finesse, l’esthétique, l’érotisme.

 

  1. Langue tirée

 

Quant on ne peut plus discuter, par dépit on tire la langue. S’y associe l’agression, l’aversion et la moquerie.

 

  1. Bouche tordue au sourire mauvais

 

Dans la bouche du maître apparaît visiblement la scission de la conscience, car l’autre moitié sait qu’au fond il n’y a pas de quoi rire. C’est le sourire à l’étage du pouvoir et de sa mélancolie, tel qu’il apparaît chez les hauts fonctionnaires, les hommes politiques, les rédacteurs.

 

 

  1. Bouche amère, lèvres serrés
  2. Bouche éclatante de rire, grande gueule

 

Le rire du kunique vient des entrailles, il a un fond animal et se manifeste sans inhibition (ex. bouddhas riants).

 

  1. Bouche sereine, silencieuse
  2. Yeux
  3. Seins
  4. Culs

 

Le cul est le plébéien, le démocrate de base et le cosmopolite parmi les parties du corps, en un mot, l’organe kunique élémentaire. Il fournit la base matérielle solide. Il est chez lui dans tous les cabinets du monde. Ce n’est pas par hasard que la psychanalyse, discipline fortement inspirée du kunisme, lui consacre des études subtiles et appelle stade anal une étape majeure du développement.

 

  1. Pet
  2. Merde, déchets

 

C’est seulement sous le signe de la pensée écologique moderne que nous nous trouvons obligés de reprendre conscience de nos déchets.

 

 

  1. Organes génitaux

 

B.     Cabinet des cyniques

 

Mais il y en à d’autres : François Villon, Rabelais, Machiavel, le marquis de Sade, Talleyrand, Flaubert, Nietzsche, Cioran…

 

  1. Diogène de Sinope, Homme-chien, philosophe, propre à rien (404-323 AVJC)

 

Diogène est un chien qui mort quant cela lui prend. Il ressemble à ces maîtres japonais du Zen dont l’enseignement repose sur le non-enseignement. C’est le type de l’homme sauvage, spirituel, rusé. Tout ce qui leur appartient, les kuniques le portent sur eux. Sa pauvreté spectaculaire est le prix de la liberté. Son arme n’est pas tant l’analyse que le rire. Il inaugure une série de philosophe comme Montaigne, Voltaire, Nietzsche, Feyerabend…

 

L’exemple de Diogène montre que dans l’antiquité, la sagesse n’est pas comprise comme un savoir théorique mais plutôt comme un esprit souverain qu’on ne peut séduire. L’homme socialisé est celui qui a perdu sa liberté. C’est lui qui, une jour à Athène, alluma en plein midi une lanterne, et quand on lui demanda pourquoi, il répondit : « je cherche un homme ». Moraliste, D. joue le rôle du médecin de la société.

 

Cf. Le sage montre qu’il peut vivre vraiment partout parce qu’il est en tout lieu en accord avec lui-même et les « lois de la nature ».

 

 

  1. Lucien, le moqueur (120 ap. jc) = satirisme.
  2. Méphistophélès de Goethe

 

On rencontre le fameux diable théatral chez Goethe au zénith du siècle des lumières (XVIII)

 

L’astuce est quand qualité de satan, il peut dire les choses comme elles sont.

 

  1. Le Grand Inquisiteur de Dostoïevski

 

C’est le prototype du cynique (politique) moderne.

 

  1. Le « on » (le représentant des temps modernes qu’on doit à Martin Heidegger

 

Le « on » ou la non personne. H. est vraiment le néo-kunisme théorique de notre siècle. Le on est le neutre de notre moi : moi quotidien mais pas « moi-même ». Il représente en quelque sorte mon côté public, ma médiocrité. En tant que moi inauthentique, le On se décharge de toute détermination propre et toute personnelle = l’apparence conventionnelle.

 

Le « on » ne fait que participer au bavardage (discours) universel. Dans le bavardage apparaît l’inauthenticité de l’être quotidien. C’est le royaume de l’agitation. La volonté d’authenticité est un point majeur chez H.

 

La recherche de H. est la suivante : il pense que là où était du On doit advenir de l’authenticité (comme Freud pensait que là ou était du ça doit advenir du moi). L’authenticité serait cet état que nous acquérons si nous produisons dans notre Dasein un continuum de la lucidité. Le bouddhisme parle dans des tournures comparables (phénoménologie, bouddhisme et freudisme =).

 

II.                 Partie phénoménologie

 

Seconde définition du cynisme (après : cynisme = fausse conscience éclairée), le concept se divise dans l’opposition kunisme – cynisme. Troisième déf. : phénoménologie des formes de conscience polémiques.

 

Cette partie est consacrée à l’analyse des oppositions de conscience kuniques et cyniques dans six grands domaines de valeur : armée, politique, sexualité, médecine, religion, savoir (théorie).

 

A.     Les cynismes cardinaux

 

  1. Le cynisme militaire

 

La fuite est plus ancienne que l’attaque. Fuir est d’abord plus habile que tenir bon.

 

Analyse de la psychologie guerrière des trois caractère virils de combat : le héros, l’hésitant et le lâche. Dans la conscience du lâche se trouve la cellule du kunisme militaire. Les mercenaires sont des hésitants professionnels.

 

Avec la guerre à distance : plus une arme est dévastatrice à distance, plus il est permis en principe à ses porteurs d’être lâches. Guerre scientifique. Le kunisme des soldats et le cynisme des grands capitaines.

 

  1. Le cynisme d’Etat et d’hégémonie

 

L’inventeur du kunisme politique originel c’est le peuple juif. Il a fourni à notre civilisation les modèles de résistance les plus puissants contres d’énormes hégémonies. Le kunisme politique des Juifs est porté par le savoir, à la fois ironique et mélancolique, que tout passe, même les despotismes et que la seule chose qui reste est le pacte que le peuple élu à conclu ave son Dieu. Le monde hérite du judaïsme l’idée de résistance.

 

Le christianisme a poursuivi la résistance juive contre l’empire romain. Avec la conversion de Constantin au christianisme, commence la christianisation du pouvoir, et donc, du point de vue de la structure, la transformation de l’impulsion kunique en cynisme.

 

Le Prince de Machiavel.

 

  1. Le cynisme sexuel

 

Le mépris idéaliste du corps. Les attaques cyniques : masturbation = auto-suffisance sexuelle.

 

  1. Le cynisme médical

 

Contact avec les morts : le soldat, le bourreau, le prêtre. Cf. le médecin d’aujourd’hui devient un technocrate cynique du corps. Les crimes du fascisme médical allemand contre l’humanité.== une charge contre les médecins.

 

  1. Le cynisme réligieux

 

Moïse est un rebelle kunique en brisant les tables de la loi. Le cynisme, c’est Cain et Abel. Le Seigneur savait très bien que Caien avait tué son frêre Able. Dissimulation. Le cynisme des maîtres atteint des sommets avec les croisades et l’Inquisition. L’ère luthérienne ramène le kunisme. Le Jésuite sont un sommet cynique.

 

  1. Le cynisme du savoir

 

Le kunisme du savoir, c’est le Gai Savoir, c’est une intelligence satirique. « Son intelligence est flottante , ludique, elle fonctionne à l’essai, elle n’est pas orienté vers des fondements sur et derniers. La satire comme méthode ?

 

L’anti-philosophie kunique possède trois médias essentiels ou l’intelligence peut se détacher de la théorie et du discours : l’action (espiéglerie) , le rire (tradition de la satire) , le silence (tradition européenne églises, cloîtres, écoles).

 

Le kunisme n’est pas une théorie et n’a pas de théorie. « Le kunisme cognitif est une forme de pratique du savoir (…). »

 

 

B.     Les cynismes secondaires

 

  1. Minima Amoralia – Aveu, plaisanterie, crime
  2. Ecole de l’arbitraire, le cynisme de l’information, la presse
  3. Le cynisme de l’échange ou la dureté de la vie

 

 

III.               Partie logique

 

A.     Expérience noire. A comme organisation d’un savoir polémique

 

Dans cette partie, PS interroge les racines du « vouloir-savoir moderne ». Ici apparaît la figure du philosophe, de l’espion, du policier, du journaliste, du détective, du psychologue, de l’historien, etc. « Tous apparaissent comme les différentes lignes du spectre du savoir de l’A. Quelles sont les raisons de cette curiosité.=le savoir polémique (contre l’autre)

 

  1. Savoir militaire et espionnage

 

Que fait l’ennemi ? Percer à jour les manœuvres de l’autre. L’A. en tant qu’espionnage est recherche sur l’ennemi.

 

  1. Police et optique de la lutte des classes

 

D’un côté : police, mouchard, indicateurs/ de l’autre : révolutionnaires, rebelles, déviants, dissidents. Foucé/Napoléon 1er.

 

  1. Sexualité : l’ennemi est à l’intérieur – en bas

 

L’expérience noire de la sexualité consiste à percevoir ses objets par le trou de la serrure, avec avidiTé, angoisse, souci ; Les métaphores de combats : attaque, défense, siège, assaut, conquête, soumission, etc.

 

  1. Médecine et mise en suspicion du corps

 

Le médecin exerce lui aussi une activité de type polémique : une lutte contre la maladie. Guérir (remettre en état) et combattre sont deux aspects de la même chose. Le corps est le porteur du secret que le médecin surveille jusqu’à ce qu’il en sache assez sur les états intérieurs comme dans la diplomatie secrete et dans l’espionnage.

 

  1. Néant et métaphysique de l’auto-conservation nue

 

Comme le sujet moderne ne peut pas penser sa « propre mort » pour des raisons psychologiques, idéologiques et métaphysique, le voici soumis à la loi : l’éviter littéralement par tous les moyens. A un certain égard, tous les moyens sont bons pour de pas mourir. Il en résulte logiquement une instrumentalisation totale. Si le sujet est a priori ce qui ne peut pas mourir, il transforme rigoureusement le monde en l’aire de ses luttes pour la survie.

 

Face à cette peur de la mort, surgit 36 transcendances de substitution qui fondent une véritable phénoménologie de la modernité : l’inconscient, l’histoire comme sphère des origines obscures, l’astronautique comme psychédélique infantile-technologique et militaire, l’érotisme, les drogues comme rupture du continuum banal, les arts, le sport de haut niveau comme tentative de dépasser les limites quotidiennes, le tourisme comme élargissement du mode de l’expérience,e tc.

 

Et aussi : vols spatiaux, télécommunication magie de rajeunissement, psychopharmacologie, etc.

 

  1. Espionnage de la nature, logique de l’artillerie, métallurgie, politique

 

La chose qui s’oppose à moi devient objet. Dans la volonté de savoir, se manifestent toujours des intérêts qui ne se réduisent pas au savoir en tant que tel, mais servent d’armement des sujets contre les objets. En ce sens, le « savoir objectif » à un caractère d’arme.

 

B.     Polémique transcendantale

 

  1. Polémique contre le Ca ou : penser le Diable
  2. Métapolémique

 

 

IV.              Partie historique

 

A.     Le symptôme de Weimar

 

Nous voyons la culture de W. comme l’époque où est née l’essentiel de cette structure cynique dans sa dimension culturelle dominante.

 

B.     Modèles de conscience de la modernité allemande

 

Conclusion. En chemin vers une critique de la raison subjective.

 

C’est un essai sur la structure et la dynamique de phénomènes cyniques. A côté, le Gai Savoir est née dans le kunisme de Diogène. Depuis toujours, une intelligence mobile et avertie rivalisait avec le lourd sérieux des discours des théologiens, des métaphysiciens, des moralistes et des idéologues.

 

La philosophie, en passant des doctrines archaïques de sagesse à la philosophie productrice d’arguments, elle est elle-même tombée dans la pénombre de la méconnaissance de la vie.

 

De tous les côtés, la philosophie est aujourd’hui encerclée par des empirismes malins et par des disciplines réalistes du savoir de Gros-Jean. Or, ces disciplines et doctrines fournissent un savoir d’aggravation.

 

La pensée radicale de la modernité découvre le vide de la subjectivité. Le problème de la réflexivité.

 

L’ironie de l’A. : avec sa course activiste du faire par soi-même, du planifier par soi-même et du penser par soi-même, elle a eu pendant deux siècles tant de succès, qu’elle ne supporte plus guère maintenant son propre succès.

 

La devise de l’A. : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » Or, le pouvoir savoir soi-même, auquel Kant a appelé, s’appuie sur la qualité vitale d’un courage auquel le désespoir moderne devant les « conditions d’existence » est étranger.

 

Pour avoir largement perdu leur courage et leur raison, les héritiers de l’A. sont aujourd’hui nerveux, sceptiques et sans illusion en route vers un cynisme global. Le cynisme, comme fausse conscience éclairée, est devenu une prudence endurcie et ambiguë qui, comparé avec le courage, considère toute positivité a priori comme tromperie et vise  se tirer uniquement d’affaire d’une façon ou d’une autre.