Présent et avenir de la GED

Gérard Dupoirier.

Club de l'Hypermonde, 12 novembre 1996

L'auteur d'un ouvrage sur la GED (Gestion électronique de documents), à l'origine d'un groupe de travail sur les documents numériques à l'Afcet a-t-il quelque chose à dire au Club de l'Hypermonde? Oui. D'abord ce qu'il sait des techniques de la GED. Ensuite les questions qu'il se pose à son sujet.

La GED, et pourquoi faire ?

Posons une définition : un document est un ensemble de pages écrites dont les contenus (texte, graphique, image) sont agencés pour faciliter la bonne compréhension du lecteur. Il a des usages professionnels mais aussi de loisirs. Il joue un rôle social comme medium, c'est à dire comme intermédiaire entre les hommes à travers le temps et l'espace.

Les tablettes d'argile sumériennes sont des documents, comme ceux produits, depuis les années 80, par la bureautique, cette super machine à écrire.

Un document est un moyen écrit de communication de la pensée, de la connaissance et du savoir faire. Il contient de l'information. Et, en plus de l'information elle-même (le fond), tout un ensemble d'éléments qui facilitent sa lecture, la forme. Celle-ci inclut la typographie, la composition et la mise en pages, la structuration en chapitres, sous-chapitres et paragraphes. Elle apporte aussi des mécanismes de pointage ou de liaison, par exemple les notes de bas de page, les références bibliographiques, les appels de figures. Tous ces éléments influent sur les mécanismes de lecture: conduite de l'oeil, capture de l'information et sa rétention.

Un double processus

Un document naît au terme d'un double processus: rédactionnel et éditorial.

Le processus rédactionnel porte sur le fond et sur la forme. C'est un processus "métier". Il faut par exemple être juriste pour recueillir et valider l'information, chez un éditeur comme Francis Lefèvre, Lamy ou Dalloz. Avoir quelques notions de pilotage pour établir un plan de vol. Et une compétence spécialisée pour décrire les phases opératoires du dispositif d'entretien d'une centrale nucléaire. Ce processus, au sens du message est souvent difficile à modéliser.

Le processus éditorial porte la forme et la production industrielle sur un support. Il correspond au terme de GED, mais va plus loin. Il se décompose en trois phases: acquisition, traitement, restitution.

L'acquisition se fait par dactylographie, numérisation par scanner ou tablette. Ces techniques permettent de passer d'une représentation analogique du message à se représentation digitale. A cette étape on peut introduire la reconnaissance des caractères dactylographiés, manuscrits et, dans une certaine mesure, des formes saillantes ou caractéristiques.

Le traitement prend la forme de l'enrichissement typographique, de la composition, avec l'établissement de liens, la description et l'indexation du document.

La restitution peut être une impression, une visualisation ou une projection sur cédérom. L'interface homme-machine ne dispose que deux lieux de lecture: l'écran et le papier. Le zéro papier est une utopie, mais l'avenir de écrans plats à haute définition constitue une véritable guerre économique entre les Etats-Unis et le Japon. Actuellement, des écrans à 300 dpi sont disponibles.

Situation actuelle et questions pour l'avenir

L'ensemble de ce processus relève aujourd'hui du numérique. Il n'y a plus de rupture technique, depuis l'acquisition jusqu'à la restitution. On peut donc s'organiser autrement, transporter les documents sous forme électronique, les produire à la demande, les personnaliser. Mettre la bibliothèque du Vatican à la disposition du public, faire des bibliothèques de documents électroniques. Etait-il nécessaire, à la fin du XXeme siècle, de construire une Bibliothèque nationale de France?

80% de l'information utilisée dans les entreprises est dans les documents, le reste dans les bases de données et les systèmes informatiques. Les nouvelles techniques documentaires ont donc une importance stratégique. Elles industrialisent les processus documentaires et apportent des gains de productivité, alors qu'il n'y a plus grand chose à gagner sur les chaînes de production proprement dites. Le workflow permet la modélisation des flux et leur suivi.

L'ingénierie linguistique va bientôt permettre de classer, retrouver automatiquement de documents et de faire des interrogations multilingues.

Les décideurs ont devant eux des chantiers considérables. Car ces techniques conduisent à modifier les comportements de travail, à s'interroger sur ce qui constitue le patrimoine de l'entreprise.

Désormais, la page physique, le format A4, ne sont plus structurants. Comment les organiser, comment structurer les systèmes d'information? Il n'y a pas qu'une seule réponse, et heureusement.

L'électronique permet aujourd'hui de faire des documents traditionnels autrement, mais aussi des documents que nous ne pouvions pas imaginer avant. Par exemple un journal permanent et personnalisé. Il n'exclut pas le journal traditionnel, mais il le complète.

Elargissons-donc la définition de la GED, en transposant le concept informatique des structures en couches. Au niveau bas, le poste de travail et les réseaux de transport. Au dessus, le système d'information avec les traitements. Au sommet, la gestion des documents avec leur présentation. C'est cette dernière qui est réellement l'interface avec l'utilisateur car elle est porteuse de sens.