GEOLOGIE ET THERMODYNAMIQUE DE L'HYPERMONDE
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On peut pour commencer considérer l'hypermonde comme la connexion des espaces de mémoire de tous, ou en tous cas d'une part croissante des ordinateurs existants. Théoriquement, en suffixant le système d'adressage de tout ensemble informatique par une adresse Internet ou X.400, nous pouvons symboliquement les réunir en un seul espace. Et même donner une première évaluation de sa surface actuelle: environ 50 millions de micro-ordinateurs disposant chacune de 100 millions d'octets sur disque, soit 5.10**15 octets. A peu près autant sur les grandes machines (50 000 mainframes ou équivalents avec chacun 100 giga octets). Donc en tout 10**16 octets. Ou encore environ 10**17 bits. On peut aussi y a jouter l'ensemble des supports magnétiques mobiles (bandes magnétiques, CD-Rom).
Comment s'organise le contenu de cet immense espace binaire? La première image est celle d'un archipel. Tout ordinateur ou micro-ordinateurr constitue une île avec l'ensemble des mémoires qu'il emploie ou contrôle.
Cet archipel s'accroît rapidement
- par la multiplication des îles, du fait de l'augmentation du parc de micro-ordinateurs et de l'introduction de chips numériques dans un nombre croissant d'appareils;
- par l'augmentation de surface des îles, aux différents niveaux de leur mémoire (aujourd'hui, 4 Mo octets de mémoire centrale commencent à sembler peu sur un micro-ordinateur, et l'on en recommande 8 pour bien des applications, et les disques durs sont à 300 Mo).
Cet archipel se densifie et les îles se relient peu à peu. On tend, dans une entreprise, à connecter tous les postes de travail par des réseaux locaux. Et tous les établissements d'une entreprise, et toutes les entreprises avec leurs partenaires. De brèves connexions font place à des liaisons permanentes. L'archipel se fait continent.
Parallèlement, la vitesse de circulation dans l'archipel s'accroît. Les temps d'accès aux mémoires se comptent en nanosecondes. Les débits des télécommunications passent de 1200 bits/seconde à plusieurs centaines de mégabits. L'image météorologique, appelant la thermodynamique, d'une "montée en température" vient ici relayer la géologie de constitution de l'archipel.
La "température" n'est pas partout identique. Elle s'élève autour des processeurs et s'abaisse en zones "concentriques" avec les registres, la mémoire vive et les différents types de supports de mémoire "externe".
Enfin, l'espace se fait toujours plus cohérent, continu, par toutes les formes de la standardisation. Avec ses différents niveaux. A la base le "miracle du binaire", au dessus la machine de Von Neumann, les systèmes d'exploitation, SGBD, standards de communication, etc.
L'espace-mémoire colonise toute la planète. Toute machine moderne d'un certain niveau de complexité s'équipe d'une "puce". Qu'elle soit industrielle ou domestique. Elle y gagne tout à la fois:
- des possibilités de programmation et d'automatisation
- la possibilité d'une interface ergonomique avec l'homme
- la possibilité de se mettre en réseau avec les autres machines, d'entrer dans l'archipel.
Du point de vue formel de l'archipel des mémoires, une machine donnée apparaît comme une zone de mémoire spécialisée, dans ses fonctions comme dans sa localisation et ses liaisons avec d'autres zones de mémoire.
On peut en tenter une description formelle sur quelques exemples:
- un poste téléphonique est constitué par deux points binaires, géographiquement proches l'un de l'autre (environ 15 centimètres), pouvant se mettre en relation avec un autre couple similaire, éventuellement très éloigné chaque couple comportant un point "récepteur" asservi au point "émetteur de l'autre", avec une fréquence d'asservissement de 30 à 3000 KiloHertz;
- un poste de télévision numérique est une mémoire locale constituant une matrice de pixels, dont le contenu est constamment mis en correspondance à l'identique avec une mémoire origine dite émetteur; comme un grand nombre de postes sont asservis au poste émetteur, on parle de mode "diffusion";
- une machine outil ou un automatisme comporte des points "origine", dont la valeur binaire est donnée par des appareils dits "capteurs", placés en des points bien déterminés de l'espace (topographique), et d'autres sont des points de valeur calculée par les automates, les "actionneurs";
- une horloge est un point binaire qui change de valeur à une fréquence bien déterminée; elle est en général entourée d'une zone binaire plus ou moins étendue permettant d'enregistrer l'heure, voire la date; et souvent aussi complétée par une assez vaste zone "graphique" permettant de présenter l'heure aux opérateurs humains.
On notera aussi:
- des objets passant d'un point à un autre,
- des flux de bits, fichiers, messages,
- la répétition, en quantité nombreuse, de certains objets ou types d'objets.
Dans ce modèle, nous pourrons peu à peu reconstruire l'ensemble de l'informatique, essentiellement comme des relations entre les différentes zones de ce vaste plan mémoire. Ces liaisons, et la manière technologique dont elles s'accomplissent, sont extérieures au plan mémoire proprement dit. Les "fils" ou "canaux" ne sont pas dans l'espace binaire, même s'ils figurent dans le même morceau de silicium. En revanche, les communications étant numérisées, ces liaisons sont décrites et pilotées par d'autres zones binaires.
Il va falloir construire une sorte de topologie de cet espace et des relations entre ces points. Cela conduirait, par exemple, à définir des opérateurs ou des processeurs. A retrouver par exemple la typologie TEF (temps, espace, forme):
- processeurs temporels, ou mémoires, en y plaçant ici essentiellement les "accès",
- processeurs d'espace, (communication et réseaux)
- processeurs de forme, la case "divers" de cette typologie, c'est à dire à la base les opérateurs logiques et au dessus des combinaisons de plus en plus riches jusqu'aux systèmes informatiques complets.
Conjecture: il existe entre ces structures des jeux de dualités et de réciprocité, les structures de l'espace mémoire renvoyant à celles de l'espace des processeurs. On pourrait partir d'une définition de type "un processeur est une relation entre deux zones mémoire, lui-même défini par une zone mémoire dite programme".
Bien que simpliste, ce modèle va nous permettre d'esquisser les points de départ possibles d'une géologie et d'une thermodynamique de l'hypermonde.